Le régime spécifique d’activité partielle | Un outil pour préserver l’emploi, vraiment ?

Textes : Article 53 de la Loi n° 2020-734 du 17 juin 2020, décrets n° 2020-926 du 28 juill. 2020 et n° 2020-1188 du 29 septembre 2020

L'objectif de ce dispositif est d'apporter des solutions aux entreprises dont la baisse d'activité apparait durable mais qui s'engagent à préserver l'emploi.

"C'est un bouclier anti-licenciement pour protéger les entreprises qui subiront une baisse d'activité dans les prochains mois, selon Élisabeth Borne. Il s'agit d'éviter que les entreprises se séparent des salariés et des compétences dont elles auront besoin dans la reprise en combinant activité partielle de longue durée avec le financement de formation".

La Ministre a annoncé fin septembre 2020 plus de 300 accords d'activité partielle de longue durée déjà signés couvrant 50 000 salariés, dont la moitié sont des documents unilatéraux qui s'appuient sur un accord de branche. La mesure, partie du plan de relance, doit couvrir près de 500.000 personnes d'ici l'année prochaine, pour un coût de près de 7 milliards d'euros. 

Nous allons voir cependant que progressivement l'État est revenu sur les engagements demandés aux entreprises en matière d'emploi, ce qui se traduit désormais à notre sens plus par un dispositif de soutien aux entreprises que par un outil de protection de l'emploi en tant que tel.

Conditions

Ce régime ne pourra être mis en oeuvre que par accord d'établissement, d'entreprise ou de groupe ou par un document homologué, établi par l'employeur sur la base d'un accord de branche étendu.

Quelques branches ont d'ores et déjà signé un tel accord : Métallurgie le 30 juillet 2020, Syntec en septembre 2020, Bijouterie et Distribution conseils hors domicile en septembre 2020.

L'accord collectif mentionne obligatoirement :

  • un préambule présentant un diagnostic sur la situation économique et les perspectives d'activité de l'établissement, de l'entreprise, du groupe ou de la branche ;
  • la date de début et la durée d'application du dispositif ;
  • les activités et les salariés concernés par le dispositif, l'individualisation du placement
    en activité partielle n'étant pas possible contrairement au dispositif de droit commun ;
  • la réduction maximale de l'horaire de travail en deçà de la durée légale, pouvant donner lieu à indemnisation à ce titre, dans la limite de 40 % de la durée légale du travail  ;
  • les engagements en matière de maintien de l'emploi et de formation professionnelle.
    Sauf stipulation contraire de l'accord collectif, ils portent sur l'intégralité des emplois de l'établissement ou de l'entreprise ;
  • les modalités d'information des organisations syndicales signataires et des IRP sur la mise
    en oeuvre de l'accord. Cette information a lieu au moins tous les 3 mois.

 Remarque 3E : Seules les OS signataires bénéficient de ces informations

Cet accord peut également prévoir :

  • les conditions dans lesquelles les dirigeants salariés, les mandataires sociaux et les actionnaires fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés pendant la durée de recours au dispositif ;
  • les conditions dans lesquelles les salariés prennent leurs congés payés et utilisent leur compte personnel de formation (CPF), avant ou pendant la mise en oeuvre du dispositif ;
  • les moyens de suivi de l'accord par les organisations syndicales.

En cas de décision unilatérale avec application de l'accord de branche, ce document précise les conditions de mise en oeuvre, au niveau de l'entreprise ou de l'établissement, des stipulations de l'accord de branche étendu. Il comporte en particulier les engagements spécifiques souscrits par l'employeur en matière d'emploi. Le document peut être renouvelé dans le respect de la durée maximale fixée par l'accord de branche.

Un employeur ne pourra pas cumuler le dispositif d'APLD avec celui de l'activité partielle de droit commun pour les mêmes salariés sur la même période. Le cumul ne sera possible que si les dispositifs portent sur des salariés différents et que le recours à l'activité partielle de droit commun est justifié par des difficultés d'approvisionnement, un sinistre ou des intempéries, la transformation, la restructuration de l'entreprise ou toute autre circonstance de nature exceptionnelle et non par la conjoncture économique.

La réduction de l'horaire de travail ne pourra être supérieure à 40 % de la durée légale du travail, cette limite s'appréciant pour chaque salarié sur la durée d'application du dispositif prévue par l'accord, ce qui laisse ouverte la possibilité d'une suspension d'activité.

Cette limite de 40 % peut être dépassée dans des cas exceptionnels sur décision de l'autorité administrative, dans les conditions prévues par l'accord collectif, avec une limite haute de 50 % de la durée légale du travail. Si l'accord est silencieux sur ce sujet, ce dépassement ne pourra avoir lieu.

Engagements en matière d'emploi

Les engagements concernent l'ensemble des emplois de l'établissement ou de l'entreprise, sauf stipulation contraire de l'accord d'établissement, d'entreprise ou de groupe validé par l'autorité administrative ou de l'accord de branche étendu.

Durée

Les accords collectifs et documents unilatéraux sont adressés pour validation ou homologation à l'autorité administrative (la DREETS du territoire) avant le 30 juin 2022. La date à partir de laquelle est sollicité le bénéfice du dispositif spécifique d'activité partielle ne peut être antérieure au premier jour du mois civil au cours duquel la demande de validation ou d'homologation est transmise à l'autorité administrative. Le bénéfice du dispositif est accordé dans la limite de 24 mois consécutifs ou non sur une période de 36 mois consécutifsLes décisions d'homologation ou de validation sont données pour une durée de 6 mois renouvelables.

Indemnisation des salariés

L'indemnité d'activité partielle versée au salarié sera égale à 70 % de sa rémunération brute servant d'assiette à l'indemnité de congés payés, soit environ 84 % du salaire net, cette rémunération étant ramenée à une valeur horaire sur la base de la durée légale ou, si cette durée est inférieure, sur la base de la durée conventionnelle ou contractuelle du travail. La rémunération maximale prise en compte pour le calcul de l'indemnité horaire sera égale à 4.5 fois le taux horaire du SMIC et l'indemnité sera plafonnée à 70 % de 4.5 SMIC, soit 27.41 € par heure ou 4 156.43 € mensuels.

L'indemnisation de l'activité partielle spécifique correspond à la différence entre la durée légale ou si elle est inférieure, la durée conventionnelle ou contractuelle du travail, et le nombre d'heures travaillées, il en est de même pour les salariés en forfait en heures ou en jours sur l'année et des salariés en horaire d'équivalence. 

Attention : contrairement au régime de droit commun, il n'y a pas de prise en compte des heures supplémentaires structurelles ni des heures d'équivalence.

L'indemnisation horaire minimum du salarié est de 8.03 €, soit le SMIC horaire net.

Allocation versée aux employeurs

Le montant de l'allocation versée à l'employeur est de 60 % de la rémunération horaire brute servant d'assiette pour l'indemnité de congés payés, dans la limite à 4.5 fois le taux horaire du SMIC.

Le décret du 28 juillet 2020 prévoyait pour les accords transmis à l'autorité administrative après le 1er octobre 2020, qu'il descendrait à 56 % de la rémunération horaire brute, mais le décret du 30 septembre 2020 est revenu sur cette disposition en maintenant l'allocation à 60 % de la rémunération horaire brute. Le taux horaire de l'allocation ne peut en outre être inférieur à 7.23 euros (hors contrats d'apprentissage ou de professionnalisation). 

Par ailleurs, concernant les entreprises des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, la prise en charge intégrale des indemnités d'activité partielle qu'elles versent à leurs salariés devrait s'appliquer comme pour le régime de droit commun et cela jusqu'à la fin de l'année.

Le nombre d'heures ouvrant droit à l'allocation pour l'employeur est celui retenu pour le versement des indemnités aux salariés.

Le taux horaire de l'allocation ne peut être inférieur à 7.23 €, à l'exception des contrats d'alternance.

En synthèse

Indemnisation salariée :  

  • 70% du salaire horaire brut
  • Plancher à 8.03 €/heure 
  • Plafond : 70% de 4.5 SMIC brut soit 32 €/heure 

Allocation employeur : 

  • 60% du salaire horaire brut soit 85.7% de l'indemnité versée au salarié 
  • Minimum : 7.23 €/heure 
  • Plafond : 60% de 4.5 SMIC brut soit 27.41 €/heure 

Mise en oeuvre 

L'accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou de groupe, ou le document élaboré unilatéralement, ainsi que, le cas échéant, l'avis rendu par le CSE sont transmis à l'autorité administrative pour validation ou homologation.

Remarque 3E : le CSE est consulté en cas de document élaboré unilatéralement dans le cadre d'un accord de branche étendu, pas dans les autres cas.

L'autorité administrative dispose des mêmes délais que ceux existant pour les Plans de Sauvegarde de l'Emploi pour valider l'accord (15 jours) ou homologuer le document établi de façon unilatérale (21 jours).

Dans le premier cas, elle a la charge de la vérification des conditions de validité et de la régularité de la négociation et de la présence dans l'accord de l'ensemble des dispositions obligatoires de par la loi.

Dans le second cas, elle vérifie la régularité de la procédure d'information et de consultation du CSE, la présence de l'ensemble des dispositions obligatoires, la conformité du document aux stipulations de l'accord de branche et la présence d'engagements spécifiques en matière d'emploi.

La décision d'homologation ou de validation vaut autorisation d'activité partielle spécifique pour une durée de 6 mois. Elle est renouvelée par période de 6 mois au vu du bilan transmis par l'entreprise.

Elle est notifiée à l'employeur, au CSE lorsqu'il existe ou aux organisations syndicales signataires en cas d'accord. Elle est motivée. Elle est portée à la connaissance des salariés, (ou en cas de décision tacite, la demande et l'accusé de réception), ainsi que les voies de recours et les délais, par tout moyen lui donnant date certaine ou par affichage.

Bilan de la période d'activité partielle spécifique

Avant l'échéance de chaque période d'autorisation d'activité partielle spécifique, l'employeur adresse à l'autorité administrative :

  • un bilan portant sur le respect des engagements pris en matière d'emploi, de formation professionnelle et d'information des institutions représentatives ;
  • un diagnostic actualisé de la situation économique et des perspectives d'activité de l'établissement, de l'entreprise ou du groupe ;
  • le PV de la dernière réunion à laquelle le CSE, s'il existe, a été informé sur la mise en oeuvre
    de l'activité partielle spécifique.

Contrôle de l'administration

L'administration ne procédera pas à un contrôle du motif économique, elle vérifiera la qualité du diagnostic présenté dans le préambule et s'assurera qu'il a été partagé avec les partenaires sociaux.

De même concernant les engagements en matière d'emploi et de formation, les engagements devront traduire une ambition partagée mais il ne sera pas nécessaire de donner des éléments quantitatifs précis sur le volume de formations, etc. 

Sanctions du non-respect des engagements de l'accord :

L'autorité administrative peut demander le remboursement par l'employeur des sommes perçues pour chaque salarié placé en activité partielle spécifique dont le licenciement est prononcé pendant la période d'application du dispositif pour un motif économique défini à l'article L. 1233-3 du Code du travail.

Remarque 3E : le dernier décret a changé la formulation initiale qui était "dont le contrat de travail est rompu", ce qui exclut de facto les plans de départs volontaires du champ du remboursement potentiel.

Si le licenciement pour motif économique concerne un salarié qui n'était pas placé en activité partielle spécifique mais que l'employeur s'était engagé à maintenir dans l'emploi, la somme remboursée correspond à la valeur du montant total des sommes des allocations versées au titre de l'activité spécifique divisée par le nombre de salariés placés en activité partielle spécifique.

Le remboursement de tout ou partie des sommes dues peut ne pas être exigé s'il est incompatible avec la situation économique et financière de l'établissement, l'entreprise ou le groupe. Le remboursement dû par l'employeur n'est pas exigible si les perspectives d'activité se sont dégradées par rapport à celles prévues dans l'accord collectif ou le document de l'employeur.

Remarques 3E :

  • Le fait que le remboursement ne soit pas dû en cas de dégradation des perspectives d'activité est un ajout du décret de fin septembre qui limite de fait considérablement la portée de la sanction.
  • Il aurait été par ailleurs souhaitable que soient précisées les notions d'incompatibilité avec la situation économique et financière de l'entreprise ou de dégradation des perspectives d'activité. La formulation actuelle laisse en effet une grande place à l'interprétation.

L'administration peut interrompre le versement des allocations lorsqu'elle constate que les engagements pris en matière d'emploi et de formation professionnelle ne sont pas respectés.

Remarque 3E : ces sanctions, qui ne consistent qu'en un remboursement éventuel de sommes perçues, ne concernent que les licenciements pour motif économique. Il conviendra donc d'être particulièrement vigilant sur les autres modes de rupture.

  • L'employeur peut en effet procéder à des licenciements ou des ruptures conventionnelles pendant ou après la période couverte par l'accord.
  • Il peut également mettre en oeuvre un PSE dès lors qu'il ne touche pas les salariés concernés par la garantie d'emploi.

Conséquences pour le salarié en activité partielle

L'activité partielle s'impose aux salariés. Elle n'impactera pas le calcul des congés payés ni la répartition de la participation et de l'intéressement.

Le contrat du salarié étant suspendu, celui-ci pourra occuper un autre emploi pendant ses heures chômées, sauf dispositions contractuelles contraires.    

Règles URSSAF

L'indemnité légale versée par l'employeur au salarié est un revenu de remplacement et est donc exclue de l'assiette de cotisations et contributions de Sécurité Sociale, au titre des revenus d'activité ; elle est cependant soumise à la CSG et à la CRDS au taux de 6.70 %, après abattement de 1.75 % pour frais professionnels. Les bénéficiaires du régime local d'assurance maladie du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle doivent s'acquitter d'une cotisation supplémentaire maladie de 1.50 %.

L'employeur a la possibilité de verser une indemnité complémentaire. Pour les salariés dont la rémunération est inférieure à 4.5 SMIC, si l'indemnité globale excède 3.15 SMIC, la part de l'indemnité complémentaire excédant cette limite est assujettie aux cotisations et contributions de droit commun. Pour les salariés dont la rémunération est supérieure ou égale à 4.5 SMIC, la part de l'indemnité globale excédant 3.15 SMIC est soumise aux cotisations et contributions de droit commun.

Remarque 3E : comme pour le dispositif de droit commun, ce dispositif viendra grandement amputer les budgets des CSE, sauf dispositions plus favorables de l'accord. (voir en infra).

 

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