Ferroviaire, SNCF… une élection et des incertitudes – Billet d’humeur

Les 30 juin et 7 juillet derniers, les Français étaient appelés à voter à des élections législatives qui avaient succédé à une dissolution "surprise" prononcée par le Président de la République. Après un scrutin qui a placé le Nouveau Front Populaire en tête avec une majorité relative, et une interminable période de flottement, le Président de la République a nommé Michel Barnier comme Premier ministre.


 

Cette nomination confirme et amplifie l’orientation libérale et droitière du pouvoir en place.

Dans ce contexte, de nombreuses incertitudes demeurent concernant le secteur ferroviaire et la SNCF en particulier :

  • Le sujet du fret ferroviaire public, dont le précédent Gouvernement avait livré la tête à la Commission européenne par l’intermédiaire d’un plan de discontinuité qui ne devrait lui laisser aucune chance de développement, est très certainement le sujet le plus brûlant de la rentrée. Alors que les organisations syndicales revendiquent un moratoire sur le plan de discontinuité, le programme du Nouveau Front Populaire promettait de "revenir sur la privatisation de Fret SNCF", ce qui revenait indirectement à mettre fin au plan actuel. Aucune autre formation politique n’avait intégré de volet fret ferroviaire dans son programme. Ainsi, les plus de 5 000 cheminots salariés au sein de la SAS Fret SNCF sont dans l’expectative, balancés entre suppressions d’emplois, reclassements au sein du Groupe SNCF ou de ses concurrents.

  • Le financement du développement du secteur ferroviaire est également rendu incertain par la période de flottement qui s’est ouverte. Le "plan d’avenir pour les transports", annoncé au début de l’année 2023, englobait un ensemble d’investissements destiné au secteur, sans que les contributeurs (et leur niveau de contribution…) ne soient clairement explicités : investissements de régénération, de modernisation, services express régionaux métropolitains (SERM), trains de nuit, grands projets de développement… À date, la SNCF a confirmé qu’elle participerait au financement de ces investissements. Au regard des informations communiquées publiquement, ces derniers sont en très grande majorité non financés (à hauteur de près de 90 %), le solde se répartissant de façon très inégalitaire : la SNCF participerait plus de trois plus que l’État à l’effort d’investissement… un symbole supplémentaire du désengagement progressif de l’État actionnaire dans un système ferroviaire libéralisé et affaibli.

  • La gouvernance, tant de la SNCF que du secteur des Transports et en particulier du ferroviaire, est un autre sujet en suspens : alors que le Président Farandou avait appris le 7 mai dernier qu’il allait être débarqué après les Jeux Olympiques, notamment pour avoir signé un accord d’entreprise consacré aux cessations progressives d’activité en fin de carrière qui permet aux agents cheminots de pouvoir partir dans de meilleures conditions que celles fixées par la réforme des retraites, à date aucun successeur n’a été nommé. Bien que des appétits pour diriger le Groupe SNCF aient été observés chez des personnalités proches d’un pouvoir (Jean Castex, Élisabeth Borne…) qui a participé à transformer l’entreprise publique en machine à cash, il est probable que la nomination du ou de la futur(e) PDG se fasse après l’éclaircissement du sujet de Fret SNCF, le temps de laisser au Président actuel la responsabilité du devenir de la filiale de transport ferroviaire de marchandises. La même incertitude existe concernant la place des Transports dans la politique nationale : y aura-t-il un Ministère dédié à la thématique, alors que cette dernière n’a parfois été dotée que d’un secrétariat d’État ? Quelle place la politique des Transports aura-t-elle, alors que d’autres enjeux sociaux-sociétaux occupent et saturent davantage l’espace politico-médiatique : sécurité, immigration… ?

  • Autre élément fondamental du système ferroviaire, mais entouré par un flou important, le matériel roulant fait face à des enjeux majeurs et se situe au milieu du gué. D’une part, les retards de livraisons de TGV M, produits par Alstom, font peser un risque sur la capacité de la SNCF à développer l’offre à grande vitesse, qui constitue historiquement l’activité locomotive du Groupe. Prévues à partir de 2023, les premières livraisons ne devraient finalement être honorées qu’en 2025, en raison de causes multiples : Covid-19, manque de ressources et de disponibilité des pièces, retards chez les sous-traitants, largement mobilisés et symboles de l’atomisation du secteur, internationalisation de la production (par exemple les sièges) générant davantage de retards… Outre les livrées de matériel roulant neuf, le sujet de la rénovation du matériel existant est également prégnant en cette période de rentrée : des premiers retards de sorties de rames TER ont été constatés dans le cadre du programme OPTER, sur fond d’objectifs de productivité déjà très élevés et d’accidentologie pouvant être dramatique.

Les prochaines semaines et prochains mois seront donc cruciaux pour l’avenir d’un secteur qui poursuit sa mutation libérale au détriment de véritable(s) plan(s) étatique(s) de développement. Le Groupe 3E et ses experts se tiennent mobilisés aux côtés des cheminots pour apporter les décodages et décryptages utiles dans cette période d’atermoiements politiques.

 

 Antonin Mazel, Responsable de mission - 3E Consultants

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