À chaque crise ses enseignements. Celle que nous vivons actuellement ne déroge pas à la règle.
Dans le domaine des transports, elle bouleverse depuis près d'un an les modèles économiques de l'ensemble des acteurs en conséquence d'une désertion des voyageurs, appelés à privilégier le télétravail, restreindre les déplacements voire se confiner chez eux.
Dans ce contexte, Eurostar, jadis fleuron de la construction européenne par le rail, cumule ces effets négatifs, sur fond d'un Brexit qui influe également de façon défavorable sur son activité. Si bien que l'entreprise se retrouve aujourd'hui dans une situation critique, tant en termes de trésorerie que de solidité financière. Le risque d'une cessation des paiements est désormais clairement évoqué par ses dirigeants dans la presse, en l'absence d'une recapitalisation par ses actionnaires, et d'un plan d'aide des États britannique (car son siège est à Londres) et français (car c'est une société majoritairement détenue par un Groupe français, la SNCF).
Cette situation ubuesque, qui voit la pérennité de l'un des acteurs majeurs du transport ferroviaire européen menacée, nous rappelle à nouveau les limites de l'adage "too big to fail" (trop gros pour faire faillite) qui prévalait pour le système bancaire avant la crise financière de 2008. Les Groupes publics ferroviaires et leurs filiales pouvaient entrer dans la catégorie des entreprises systémiques via un soutien supposé de leurs actionnaires, les États, et la place qu'ils occupent au sein des économies et des sociétés européennes.
Mais l'exemple d'Eurostar s'érige comme un avertissement. Après avoir fragilisé sa structure financière par d'importants versements de dividendes au fil des dernières années – dans des proportions supérieures à ce que l'entreprise pouvait supporter, réduit ses effectifs et désormais son périmètre d'activité (recentrée entre Paris, Londres et Amsterdam), Eurostar est isolée et donc menacée, à l'instar de la SNCF. Cette dernière devrait en effet assumer seule la majeure partie des pertes liées à la crise sanitaire, après prise en compte d'un plan de soutien largement inférieur aux dégâts provoqués par la pandémie.
Ainsi, l'on redécouvre de façon brutale, outre les limites de la libéralisation rampante des systèmes ferroviaires européens, le risque inhérent d'une entreprise en l'absence de financements pérennes. Si la qualité de la signature de son actionnaire public prévalait par le passé, le silence assourdissant de celui-ci, et l'irresponsabilité des Gouvernements ayant relégué la notion d'États stratèges au profit de la rentabilité des investissements publics, imposent désormais de reconsidérer les probabilités de défaut des opérateurs publics ou semi-publics, auparavant considérés comme des maillons essentiels de nos sociétés et économies.