C’est avec impatience qu’est attendue la publication de la loi omnibus chargée de réviser plusieurs textes du Green Deal Européen : la CSRD (entrée en vigueur en janvier 2024, portant sur le reporting extra-financier), la CS3D (portant sur le devoir de vigilance et entrée en application en juillet 2024) et la taxonomie verte (en 2021 pour l’identification des activités durables). Mais nous n’avons pas tous les mêmes raisons de nous impatienter. Si certains s’apprêtent à accueillir les propositions de révision avec enthousiasme et soulagement, d’autres attendent les éclaircissements indispensables sur le contenu de ce projet afin d’organiser la bataille qui se jouera notamment au Parlement européen jusqu’au vote final des textes en fin d’année 2025.
L’objectif derrière cette révision qui fait grand bruit : "un choc de simplification massif" comme l’annonçait sur France Inter Stéphane Séjourné le 20 janvier dernier. Si l’équipe du commissaire européen a précisé à Ouest France "On ne revient pas sur les objectifs de la CSRD mais seulement sur certaines obligations de reporting", les réactions ne se sont pas fait attendre.
Au-delà de la réaction de certaines entreprises qui ont adressé une lettre ouverte à la Commission dans laquelle elles pointent les investissements déjà réalisés pour se préparer à la CSRD et au CS3D, ou des experts qui ont fustigé la prime donnée "à la procrastination", c’est le recul face à l’urgence climatique qui est désastreux et qu’il faut condamner sans tergiverser. Au-delà de la désolation et du découragement que partagent tous les acteurs engagés en faveur d’un développement durable, la poursuite de la lutte passe par le refus de toute forme de recul qui se traduirait par des allègements variés dont les contours sont pour l’instant hypothétiques, allant du report pur et simple aux modifications des seuils d’application, en passant par la suppression parfois évoquée de la double matérialité. L’Union européenne, avec le pacte vert pour l’Europe, s’est donné une ligne ambitieuse pour une Europe climatiquement neutre en se montrant déterminée à appliquer les accords de Paris. Et il faut s’y tenir. Encore plus aujourd’hui compte tenu du nouveau contexte international et du déni climatique outre-Atlantique.
De quoi s’agit-il ? Quels sont les enjeux ?
Les arguments que développent les partisans de ce choc de simplification se résument à l’objectif de rechercher une meilleure compétitivité des entreprises européennes, dans la droite ligne ouverte par le rapport Draghi qui pointe des "réglementations incohérentes et restrictives" pesant sur la compétitivité des entreprises. Certains agitent le spectre de la faillite, d’autres le cauchemar bureaucratique dans lequel seraient plongées les entreprises. Il peut paraitre difficile au premier abord de résister à ces arguments qui viseraient à protéger notre tissu économique et en son sein les entreprises de plus petite taille et leurs emplois.
Et pourtant, c’est bien de résistance qu’il s’agit. Résistance en faveur d’une compétitivité qui ne se limiterait pas à des indicateurs financiers et inscrirait les stratégies de croissance dans une économie durable.
La CSRD permet de fournir plus d’informations, de transparence et de comparer les entreprises entre elles. On peut se demander depuis quand plus d’informations et de transparence nuirait à la compétitivité… Personne ne vient contester les reportings financiers au prétexte qu’ils complexifieraient la bonne marche des entreprises. C’est un changement de posture qui est attendu aujourd’hui des entreprises et des responsables politiques de tous bords. La CSRD ne se résume pas à un lourd reporting. Comme l’indiquent les experts, c’est avant tout une stratégie de transformation, guidée par une réflexion stratégique sur le développement durable et impliquant l’adaptation du modèle d’affaires. Une stratégie renouvelée, un pilotage optimisé et un management exemplaire.
La directive CS3D impose aux entreprises multinationales opérant en Europe de développer des plans de vigilance pour éviter et prévenir les atteintes aux droits environnementaux et sociaux sur l’ensemble de leur chaine de valeur. Un affaiblissement de cette directive et de sa portée est pour le moins inquiétant.
Comme le précise le FIR (Forum pour l’investissement responsable), certaines entreprises, notamment les PME-ETI, demandent des simplifications mais elles reconnaissent aussi que les normes européennes les mettent à l’abri d’une concurrence déloyale et d’un dumping social et environnemental.
Plus globalement, le virage de la simplification ou de la dérégulation va créer plus d’instabilité réglementaire et risque par là même de freiner les investissements en sapant la confiance des investisseurs attirés par la transition écologique et des investissements responsables. Bref, ce virage peut être au final contre-productif, pour ne pas dire désastreux, non seulement sur le plan environnemental et social en décalant des décisions ambitieuses mais aussi sur le plan économique.
Ce repli de l’Union européenne viendra affaiblir cette dernière sur la scène internationale en adressant un signal de recul et de désunion, au moment où nous avons plus que jamais besoin d’une Europe forte et alignée.
Alors, comment faire ? C’est sans doute en premier lieu l’accompagnement des entreprises et de leurs salariés à la mise en œuvre de ces réglementations qu’il s’agit de développer pour permettre aux PME et ETI de faire face aux différentes complexités opérationnelles. Ce premier chantier de l’accompagnement pourrait être décliné par chaque État membre, au plus près des entreprises. Les représentants du personnel au sein des CSE ont eux aussi leur rôle à jouer pour challenger leurs directions et inciter les entreprises à adopter des plans de résilience climatique ambitieux tout en en contrôlant les impacts. Depuis la loi Climat et Résilience, le dialogue social est élargi aux enjeux et impacts environnementaux des activités de l’entreprise. Ces sujets doivent être traités lors des différentes consultations des CSE. Pourtant, les enquêtes réalisées montrent que ce n’est pas toujours le cas et que les informations transmises par les directions restent encore trop souvent superficielles. Les représentants du personnel peuvent exiger d’être consultés sur les impacts et enjeux environnementaux et ainsi mieux anticiper les conséquences des transformations au sein de l’entreprise.
En second lieu, on ne peut qu’espérer le changement de posture et la mise en responsabilité de tous les acteurs politiques face au changement climatique, au respect des droits sociaux et à l’urgence d’agir. Face à des maux puissants, on ne renonce pas aux remèdes. On propose un accompagnement adéquat. Et on s’engage dans la lutte.
Christelle Le Page, Responsable de mission - 3E Consultants