Congés payés et arrêt maladie : la jurisprudence évolue en faveur des salariés !

Une décision de la Cour administrative d’appel de Versailles en date du 17 juillet 2023 a ouvert la voie à une réparation des atteintes au droit des salariés à bénéficier de congés payés. Au-delà, cette décision laissait entrevoir la fin d’une vieille carence dans le droit du travail français.

Une décision de la Cour de cassation en date du 13 septembre 2023 vient de confirmer ce revirement.

Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle.

Retour sur une saga juridique en plusieurs actes.

 

Article extrait de Décodage n°28 | Septembre 2023


 

Une contradiction entre le droit européen et le droit français

En vertu d’une directive européenne, tout salarié doit bénéficier d’un droit à congés payés d’une durée de 4 semaines au minimum par an[1]. En France, cette durée est de 5 semaines[2].

Pour la Cour de justice de l’Union européenne, l’arrêt de travail pour maladie non-professionnelle (comme tous les autres motifs d’absence) ne peut pas limiter ce droit (CJUE., 24/01/2012, affaire C-282/10 "Dominguez").

Selon les dispositions du droit européen, l’acquisition de congés payés ne dépend donc pas du travail effectif. Les États membres ne peuvent pas priver les salariés arrêtés pour cause de maladie de leur droit à acquérir des jours de congés payés. Cela constituerait une différence de traitement par rapport aux autres salariés.

Pourtant, en droit français, la notion de travail effectif a toujours été essentielle pour l’acquisition de congés payés[3]. En effet, si le droit du travail français prévoit que certaines absences, assimilées à du temps de travail effectif, permettent d’acquérir des jours de congés payés, l’arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle ne fait pas partie de ces absences[4] (contrairement à l’accident de travail ou à la maladie professionnelle, à titre d’exemples).

Depuis 2003, le Code du travail est donc contraire à l’article 7 de la directive européenne au sujet des congés payés.  

Le problème réside dans le fait que la pleine application de la directive dépend de son entière transposition en droit français. Or, celle-ci n’est jamais arrivée. Jusqu’à aujourd’hui, si l’employeur est une structure de droit privé et si le salarié engage une action contre lui dans le but d’obtenir des congés payés en raison d’une absence pour maladie non-professionnelle, la directive ne peut pas être invoquée directement (Cass. soc., 13/03/2013, n° 11-22.285).

Cela est en revanche tout à fait possible si l’employeur est une autorité publique (Cass. soc., 22/06/2016, n° 15-20.111). Ainsi, il est possible de se prévaloir directement de la directive en cas de litige contre l’État.

C’est sur cette base que la responsabilité de l’État a pu être engagée par un salarié pour non-conformité du droit français avec les dispositions du droit européen. Ce salarié a pu obtenir réparation de son préjudice, à hauteur du nombre de jours de congés perdus, et ce, dans la limite de 4 semaines (TA Clermont-Ferrand, 06/04/2016, n° 1500608).

Pour résumer, jusqu'à présent, si l’employeur n’est pas une autorité étatique, le salarié ne peut pas se retourner contre lui pour obtenir un rappel de congés payés. Il peut néanmoins le faire pour non-respect de la transposition de la directive du 4 novembre 2003 et obtenir réparation pour ce préjudice. 

Si l’employeur est une autorité étatique, le salarié peut se prévaloir de l’article 7 de la directive afin de bénéficier de 4 semaines de congés payés, même s’il a été arrêté pour cause de maladie non-professionnelle.


La décision du 17 juillet 2023 : un premier tournant

Selon l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 17 juillet 2023[5], le défaut de transposition de la directive justifie l’engagement de la responsabilité de l’État par des organisations syndicales et l’octroi de dommages et intérêts en conséquence. Le défaut de transposition peut donc être soulevé par les syndicats et non plus par les seuls salariés.

Ce jugement s’inscrit à la suite d’autres décisions judiciaires.

Sur le fondement du non-respect des dispositions communautaires et sur la base du préjudice moral subi par les salariés dont elles défendent les intérêts, la Confédération générale du travail (CGT), Force ouvrière (FO) et l’Union syndicale Solidaires ont initialement demandé au Tribunal administratif de Montreuil la condamnation de l’État à leur verser la somme de 50 000 euros chacune.

En réponse, le juge administratif a estimé que les syndicats ne peuvent pas justifier d’un préjudice moral propre (TA Montreuil, 24/04/2017, n° 1606005).

La Cour administrative d’appel de Versailles, dans son jugement du 30 juin 2020, confirme cette position (CAA Versailles, 30/06/2020, n° 17VE02125).

Mais pour le Conseil d’État, les syndicats ne sont pas tenus de justifier d’un préjudice moral propre pour demander la réparation d’une faute de l’administration qui a porté atteinte aux intérêts de la profession qu’ils représentent. Il renvoie les parties devant la Cour administrative d’appel de Versailles (CE., 15/12/2021, n° 443511).

La Cour administrative de Versailles rappelle la contradiction du Code du travail avec l’article 7 de la directive du 4 novembre 2003, en ce qui concerne l’absence pour maladie non-professionnelle.

Elle expose une autre contradiction entre le droit français et le droit européen. À la lecture de l’article 7 de la directive du 4 novembre 2003, le nombre de congés payés acquis pendant la période d’arrêt maladie n’est pas limité.

En revanche, l’article L. 3141-5 du Code du travail français limite à une période ininterrompue d’1 an l’acquisition des droits à congés payés par un salarié en arrêt de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle. 

Cela a pour effet de conditionner le droit au congé payé, et ainsi d’exclure certains salariés du bénéfice de ce droit. Cela est donc bien contraire à l’esprit et à la lettre de la directive.

La Cour administrative d’appel constate ainsi le défaut de transposition de la directive du 4 novembre 2003 en droit français.

Elle a donc jugé que les organisations syndicales étaient légitimes à engager la responsabilité de l’État. Aussi, elles justifiaient bien d’un préjudice moral né de l’atteinte (en raison du défaut du défaut de transposition de la directive) à l’intérêt collectif des salariés qu’elles représentent.

La Cour administrative d’appel indemnise les organisations syndicales à hauteur de 10 000 euros chacune, étant donné que le préjudice invoqué est limité dans le temps et dans son étendue. Elle ne donne donc pas totalement droit à la demande initiale des syndicats, qui réclamait 50 000 euros chacun en raison de leur forte représentativité et de leur nombre important d’adhérents.

La décision du 17 juillet 2023 constitue donc une première réponse aux demandes continues de la Cour de cassation de réformer par la loi le droit à l’acquisition des congés payés. En effet, dans ses rapports annuels, et ce depuis 2013, celle-ci incite l’État à modifier le Code du travail. Plus précisément, elle préconise l’inscription de la maladie non-professionnelle sur la liste des absences assimilées à du temps de travail effectif[6].


Les espoirs nés de la décision du 17 juillet 2023

Du fait de cette décision, l’État s'est trouvé sous la menace d’autres recours de ce type. Il a été mis au pied du mur, mis face à ses insuffisances qui duraient depuis de nombreuses années.

D’ailleurs, la CFDT ne s’est pas privée de rappeler cette inertie de l’État dans la transposition de la directive, ainsi que dans la réponse aux demandes de la Cour de cassation.

La CFDT a aussi insisté sur les conséquences de ce défaut de transposition sur le salarié d’une structure privée. Elle a mis en avant une démarche juridique trop complexe, accentuant ainsi la pression sur l’État[7].

La CGT s'est félicitée également de la décision de la Cour administrative d’appel de Versailles, qu’elle a présentée comme une étape cruciale dans la sécurisation de la situation des salariés en congés maladie.

Pour la CGT, il était inconcevable que l’État forme un pourvoi dans le délai légal de 2 mois, étant donné que cette décision mettait en lumière des failles qui existent depuis 20 ans maintenant (et qui ont été "révélées" par la Cour de cassation il y a déjà 10 ans).

Pour la CGT, cette décision du 17 juillet 2023 devait faciliter les demandes d’indemnisation du préjudice des salariés dont le droit aux congés payés n’a pas été respecté. Aussi, elle devait nécessairement forcer l’État à (enfin) revoir sa copie[8].


La confirmation du 13 septembre 2023

La Cour de cassation, dans un arrêt du 13 septembre 2023[9], juge que les salariés malades ou accidentés doivent acquérir des congés payés sur leur période d’absence, même si celle-ci n’est pas due à un accident du travail ou à une maladie professionnelle.

Dans cette affaire, des salariés avaient contracté une maladie non-professionnelle ayant nécessité un arrêt de travail. Ces salariés estimaient qu’ils avaient acquis des congés payés pendant la période d’arrêt.

La Cour d’appel de Reims, dans un jugement en date du 6 avril 2022[10], leur avait donné raison. L’employeur avait alors formé un pourvoi.

La Cour de cassation était donc saisie d’une affaire où la non-conformité du droit du travail avec le droit européen posait à nouveau problème.

Après avoir rappelé les contradictions entre les dispositions européennes et françaises, elle a décidé d’écarter partiellement l’article L. 3141-3 du Code du travail pour non-conformité.

Plus précisément, elle estime que cet article est contraire au droit européen en ce qu’il conditionne l’acquisition de droits à congés payés à l’exécution d’un travail effectif.

Pour la Cour de cassation, le caractère professionnel de la maladie ou de l’arrêt ne doit pas empêcher les salariés concernés de demander des congés payés. La notion de travail effectif n’étant pas essentielle pour acquérir des congés payés, la période d’arrêt doit être prise en compte pour leur calcul.

Le droit français est donc ainsi mis en conformité avec le droit européen en ce qui concerne les congés payés.

Désormais, cette décision de la Cour de cassation pourra être directement invocable contre un employeur en cas de litige.

Le Ministère du Travail a pris "acte" de cette décision et analyse les "options possibles" pour y donner suite.

Il convient néanmoins de penser que l’étau se resserre encore davantage et que la réécriture du Code du travail semble inéluctable.

 

Notons par ailleurs une autre décision de la Cour de cassation : en cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail, contrairement à ce qu'affirme l'article L 3141-5-5° du Code du travail (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638)

 

 


[1] Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, article 7 : "Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales".

[2] L’article L. 3141-3 du Code du travail énonce : "La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables".

[3] L’article L. 3141-3 du Code du travail énonce également : "Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur".

[4] L’article L. 3141-5 du Code du travail énonce : "Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : 1° Les périodes de congé payé ; 2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d’accueil de l’enfant et d’adoption ; 3° Les contreparties obligatoires sous forme de repos prévues aux articles L. 3121-30L. 3121-33 et L. 3121-38 ; 4° Les jours de repos accordés au titre de l’accord collectif conclu en application de l’article L. 3121-44 ; 5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ; 6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque".

[5] CAA Versailles, 17/07/2023, n° 22VE00442.

[6] Il est possible de lire, dans le rapport annuel de la Cour de cassation pour 2013, aux pages 65 et 66 : "La CJUE n’autorise aucune distinction entre les salariés en situation de maladie et les autres travailleurs en matière de congés payés (…). Il est donc proposé de modifier l’article L. 3141-5 du Code du travail afin d’éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive. (…). Il est encore suggéré de modifier l’article L. 3141-5 du Code du travail afin de se mettre en conformité avec le droit communautaire. En effet, cet article limite l’acqui­sition des droits à congés payés par un salarié en situation de congé pour cause d’acci­dent du travail ou de maladie professionnelle à une période ininterrompue de un an. Le caractère inconditionnel des congés payés issu de la directive communautaire 2003/88 précitée paraît heurter ce texte".

[7] "Les salariés en longue maladie disposent bien de congés payés", CFDT UFETAM, le 9 août 2023.

[8] "Les arrêts maladie ne sont pas du repos : l’État enfin condamné !", Communiqué de presse de la CGT, le 25 juillet 2023.

[9] Cass. soc., 13/09/2023, n° 22-17.340.

[10] CA Reims, 06/04/2022, n° 21/00776.

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