L'Accord National Interprofessionnel sur la retraite complémentaire Agirc-Arrco du 5 octobre 2023 : le paritarisme menacé ?

L’accord sur la retraite complémentaire fait toujours l’objet d’âpres négociations. Celui qui a été signé le 5 octobre dernier ne déroge pas à la règle. Fruit d’un compromis entre les organisations de salariés et d’employeurs, il contente finalement les premières grâce au taux de revalorisation des pensions qu’il propose et les secondes grâce à la valorisation du cumul emploi-retraite qu’il entérine. Mais face à cette preuve de l’efficacité du dialogue social, le Gouvernement oppose une certaine méfiance en émettant l’idée d’une ponction des réserves du régime de retraite complémentaire. Ou comment alimenter un climat de défiance sociale déjà bien vivace.

Article extrait de Décodage n°30 | Novembre 2023


 

Le contexte

Depuis le 1er janvier 2019, le régime de retraite complémentaire est assuré par une caisse, l’Agirc-Arrco, à laquelle tous les salariés du secteur privé cotisent.

Une fois retraité, chacun d’entre eux bénéficie d’un montant de retraite complémentaire. Ce montant est obtenu en multipliant le nombre de points acquis au cours de la carrière (grâce aux cotisations à la caisse) par la valeur d’un de ces points. 

Les points de retraite sont ainsi convertis en pensions. La retraite complémentaire s’ajoute à la retraite de base versée par l’Assurance retraite de la Sécurité sociale.

La gestion de ce régime est assurée de façon paritaire et exclusive par des organisations de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel.

Tous les 4 ans, ces organisations décident des grandes orientations que le régime de retraite complémentaire doit suivre. Elles conviennent notamment de la revalorisation annuelle des pensions.

 

C’est dans cette optique que les partenaires sociaux ont signé un accord national interprofessionnel (ANI) le 5 octobre 2023. Celui-ci doit s’appliquer jusqu’à la fin d’année 2026.

Cet ANI fait suite à un premier accord conclu le 10 mai 2019, au titre de la période 2019-2022.


La revalorisation des pensions

Au 1er novembre 2023, les pensions de retraite complémentaire sont revalorisées de 4.9 %, c’est-à-dire à un taux équivalent à celui de l’inflation pour l’année 2023 (selon l’INSEE).  

Cette mesure devrait concerner près de 13 millions de retraités.

Pour la période 2024-2026, la revalorisation des pensions pourrait ne pas suivre aussi strictement l’inflation. Elle pourrait être minorée de 0.4 point en dessous de cette inflation, en fonction de l’évolution de la situation économique. Le Conseil d’administration de l’Agirc-Arrco sera chargé d’arbitrer cette question, chaque année, autrement dit au titre des années 2024, 2025 et 2026.

 


La suppression du système de bonus/malus

Le bénéfice de la retraite à taux plein est accordé aux personnes ayant atteint l’âge de 67 ans ou à celles âgées de moins de 67 ans, mais qui ont travaillé un certain nombre de trimestres (variable en fonction de l’année de naissance). Dans ces conditions, leur pension de retraite ne subit pas de réduction (de "décote").

Depuis 2019, un coefficient de solidarité ("malus") s’appliquait aux personnes nées à partir de 1957 qui bénéficiaient d’une retraite de base à taux plein, afin qu’elles retardent leur départ à la retraite a minima jusqu’à 63 ans.

Concrètement, le malus entraînait une diminution de 10 % du montant de leur retraite complémentaire.

Certaines de ces personnes échappaient malgré tout au malus. Cela concernait :

  • Les personnes qui avaient atteint les conditions de retraite à taux plein avant 2019 ;
  • Les personnes qui n’étaient pas, au moment de partir en retraite, soumises à la CSG en raison de leurs ressources ;
  • Les personnes qui ont obtenu leur retraite de base au titre de l’inaptitude, du handicap ou de la réglementation liée à l’amiante ;
  • Les personnes qui ont reporté leur départ en retraite d’au moins 1 an, même si elles ont atteint les conditions pour bénéficier du taux plein.

En outre, un coefficient majorant ("bonus") s’appliquait aux personnes qui reportaient d’au moins 2 ans le bénéfice de leur retraite complémentaire alors qu’ils pouvaient profiter d’une retraite de base à taux plein.

Précisément, le montant de la retraite complémentaire de ces personnes était augmenté :

  • De 10 % en cas de report du bénéfice de la retraite complémentaire de 2 ans ;
  • De 20 % en cas de report de 3 ans ;
  • De 30 % en cas de report de 4 ans.

Les coefficients étaient justifiés par une raison simple : inciter les salariés à poursuivre leur activité professionnelle. Or, le report de l’âge légal de départ à la retraite prévu par la loi du 14 avril 2023 a nécessairement faussé les taux de malus et de bonus.

L’ANI du 5 octobre prévoit donc que le malus :

  • Ne s’appliquera pas pour les personnes qui partent en retraite à compter du 1er décembre 2023 ;
  • Sera supprimé à compter du 1er avril 2024 pour les personnes qui partent en retraite avant le 1er décembre 2023.

Le bonus sera supprimé pour les personnes qui sont, cumulativement :

  • Nées à compter du 1er septembre 1961 ;
  • Concernées par une prise d’effet de leur retraite de base à compter du 1er décembre 2023.

Le bonus demeure applicable pour les personnes ayant reporté leur départ à la retraite de 2 à 4 ans et qui ne sont pas concernées par la réforme des retraites.


De nouveaux droits en cas de cumul emploi-retraite intégral

Le cumul emploi-retraite (autrement dit, la poursuite d’une activité professionnelle en tant que retraité, ainsi que la capitalisation des revenus et des pensions correspondants) est encouragé par l’ANI.

Auparavant, un tel cumul n’avait aucune incidence sur les pensions de retraite des personnes concernées.

Désormais, la reprise d’une activité professionnelle par un retraité ouvrira à ce dernier de nouveaux droits au régime complémentaire de retraite.

Cette mesure concernera, à partir du 1er janvier 2024, les personnes éligibles au cumul "intégral" emploi-retraite. En d’autres termes, cela visera les personnes pouvant partir à la retraite à partir de l’âge légal et bénéficier d’une retraite à taux plein.

Les personnes concernées pourront alors disposer d’une nouvelle retraite complémentaire. Ces nouveaux droits seront malgré tout plafonnés à 3 666 euros par mois.

Cette mesure est calquée sur celle qui était prévue par la loi du 14 avril 2023 pour le régime de base.

 


Les autres mesures significatives

Au 1er novembre 2023, la valeur de service du point de retraite (autrement dit, la valeur qui permet de calculer le montant de la pension) est fixée à 1.4159 euro.

Entre novembre 2022 et octobre 2023, sa valeur était de 1.3498 euro.

Pour 2023, la valeur d’achat du point (autrement dit, le nombre de points acquis chaque année grâce aux cotisations à l’Agirc-Arrco) est fixée à 18.7669 euros. En 2024, elle sera fixée à 19.6321 euros


Conclusion : la "solidarité", angle d’attaque contre les fruits de l’ANI ?

Les discussions qui entouraient la signature de l’ANI étaient particulièrement houleuses. En interne d’abord puisque les organisations patronales souhaitaient une revalorisation plus modeste des pensions de retraite. Voilà notamment pourquoi la CGPME et l’U2P ont réservé leur signature.

Mais, les dissensions provenaient surtout de l’extérieur. Le Gouvernement a réussi l’exploit de liguer les partenaires sociaux de l’Agirc-Arrco contre lui. En effet, il semblait vouloir ponctionner les réserves du régime de retraite complémentaire d’ici 2030 afin de financer la revalorisation des petites pensions du régime général.

Cette ponction était estimée à au moins 1 milliard d’euros par an. Elle laissait ainsi planer la grave menace d’une entrave au paritarisme, ce qui aurait pu mettre le feu aux poudres. Heureusement, l’incendie a été éteint le 24 octobre dernier, au moment de l’ouverture de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024. Le ministre délégué aux Comptes publics a annoncé que la décision de ponction n’était pas définitivement prise.

Dans ces conditions, la CGT a rejoint FO, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC en signant le texte.

Mais alors que les partenaires sociaux n’ont pas fermé la porte à un coup de pouce aux petites pensions au nom de la solidarité, la méthode employée par le Gouvernement interroge. Celui-ci maintient ainsi une pression sur les organisations.

Est-il de bon ton de brandir, encore, la menace du coup de force alors que le dialogue social vient, avec cet ANI, de s’offrir une victoire ?

 

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