Accidents graves et mortels : un plan pour rien ?

Nous analysons ici le Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels qui a été présenté en mars 2022. Ce plan est-il susceptible de répondre à ces enjeux ? Nous en doutons, hélas.

 

Article extrait de Décodage n°20 | Octobre 2022


 

 

Le Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels a été présenté en mars 2022. Il s'appuie sur le fait que, comme démontré par de nombreuses études, les accidents du travail graves et mortels touchent d'abord les salariés les plus vulnérables tels que les jeunes et nouveaux embauchés, les travailleurs intérimaires, indépendants ou détachés. Ainsi, en 2020, 540 000 accidents du travail, dont 550 mortels, hors accidents de la route, ont été recensés.

Ce plan est-il susceptible de répondre à ces enjeux, qui placent la France dans la queue du peloton des pays de l’Union Européenne ?


Un plan qui s’inscrit dans le Plan National de Santé au Travail (PST)

La protection de la santé au travail est devenue une composante de la politique de santé publique comme en témoigne la mise en place tous les 5 ans depuis 2004 du PST. À travers le Plan Santé au Travail, l'État, les acteurs de la prévention et les partenaires sociaux formalisent les grandes orientations de la santé au travail. Les différents PST ont été créés dans le but d’améliorer durablement la santé des travailleurs et de prévenir les risques professionnels. Ils s'adressent à tous les acteurs concernés dans le monde du travail. Ce plan national est ensuite décliné sur l'ensemble du territoire par les Directions Régionales de l’Économie, de l'Emploi, du Travail et des Solidarités (DRIEETS) en plans régionaux de santé au travail (PRST).

Actuellement, le 4e PST est en vigueur pour la période 2021-2025. Il reprend l’ANI du 9 décembre 2020 pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail et la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.

L'ANI du 9 décembre 2020 a pour objectif principal la prévention primaire des risques professionnels :

  • il propose un accompagnement renforcé de l’employeur pour établir le DUERP avec la volonté d’en faire un outil de traçabilité des expositions
  • il vise une meilleure prévention de la désinsertion professionnelle
  • il renforce la formation des salariés en santé et sécurité au travail avec la création d’un "passeport prévention"
  • il propose une augmentation de la durée de la formation en santé des élus
  • il définit une offre socle des services de santé au travail qui doit permettre aux entreprises qui n’ont aucune ressource interne en prévention d’être servies dans ce domaine de façon systématique et effective par les services de santé au travail
  • il acte pour une prévention de la désinsertion professionnelle.

La loi du 2 août 2021 a eu pour rôle de transposer les mesures de l'ANI du 9 décembre 2020.

L'objectif du PST 4 est de conférer à l'ANI et à la loi une dimension opérationnelle afin de contribuer au déploiement des mesures de ces textes.

Le PST 4 est composé d’un axe transversal relatif à la lutte contre les accidents du travail graves et mortels et de 4 axes stratégiques.

Les orientations de ce PST sont :

  • la primauté de la logique de la prévention par rapport à la logique réparation
  • le renforcement de la culture de prévention, c’est-à-dire la manière dont les acteurs de l’entreprise se saisissent des enjeux santé
  • la sécurité du travail et de leurs implications sur le travail réel (renforcement des démarches d’évaluation des risques professionnels, promotion de la formation en santé au travail, meilleure conception des équipements et lieux de travail ou encore prévention des risques liés aux mutations du marché du travail)
  • la promotion d’une approche positive de la santé
  • la place majeure du dialogue social autour des conditions de travail ou celle de la prévention de la désinsertion professionnelle et de l’accompagnement des salariés vulnérables
  • la prise en compte des effets du changement climatique, des crises ou de l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’employeur est tenu à une obligation de sécurité : des principes de prévention ancrés dans le Code du travail

Il convient de rappeler qu'en matière de protection de la santé des travailleurs, l'employeur est tenu par l'obligation de sécurité[1]. Il doit assurer la sécurité de ses salariés durant l'exécution de leur travail : il doit aussi bien protéger leur corps que leur santé mentale.

Afin d'assurer la sécurité et la santé de ses travailleurs, le Code du travail prévoit que l'employeur doit mettre en place[2] :

  • des actions de prévention des risques professionnels
  • des actions d'information et de formation
  • une organisation et des moyens adaptés.

L'obligation de sécurité de l'employeur met l'accent sur l'évitement du risque, ce qu’on appelle "prévention primaire"[3] : il s'agit de prendre en compte le risque le plus en amont possible de sa survenance, en le supprimant ou en en réduisant au maximum les effets.

Les mesures des différents PST et du Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels affichent la volonté de prioriser une telle logique de prévention primaire. Or, celle-ci ne peut être déployée qu’au plus proche des situations réelles de travail. Un plan national ne peut, en ce domaine, que donner des orientations, des moyens pour les employeurs et autres acteurs de la prévention dans l’entreprise, de réaliser ce travail d’analyse. Il peut aussi se donner comme ambition, afin de démontrer la priorité donnée à la sécurité et la santé des travailleurs, de renforcer contrôle et réglementation. Comme nous allons le voir ci-après, tel n’est pas le cas de ce qui est actuellement proposé.


Le Plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels : face à des enjeux majeurs, des actions qui apparaissent bien superficielles

Les concepteurs de ce plan ont pour ambition d'inculquer une culture de la prévention chez les employeurs et les salariés.

Le plan prévoit des actions concrètes pour cibler les efforts sur ces publics, en mettant l'accent sur la formation à la sécurité (ex : lors de la prise de poste), ou en renforçant les messages de prévention qui leur sont destinés.

Il prévoit également des actions au sein des TPE PME qui s'inspirent des mesures prévues par la loi  "Santé au travail" du 2 août 2021 :

  • renforcement du dialogue social
  • démarches d'évaluation et de prévention des risques professionnels
  • passeport prévention
  • participation des branches professionnelles pour la diffusion et l'aide dans l'appropriation des différents outils.

Par ailleurs, selon le plan pour la prévention des accidents du travail graves et mortels, certains risques professionnels doivent faire l'objet de mesures ciblées tel le risque routier, le risque associé à l'utilisation des machines et les chutes de hauteur.

Une clause de revoyure prévue pour dans 2 ans est intégrée au plan afin de s'assurer de la pertinence et de l'impact des actions menées.

Ce plan s'organise autour de 4 axes et d'un axe transversal.


Un plan qui s’inscrit dans une volonté de faire porter à l’individu la responsabilité de sa propre sécurité

L’essentiel des mesures de ce plan renvoie dans le meilleur des cas à un renforcement de la formation des salariés aux enjeux de prévention des accidents du travail, dans le pire, à des actions de "sensibilisation". La question n’est pas ici de minimiser leur importance : si le salarié est bien sensibilisé aux enjeux de sécurité, s’il est bien formé, le risque d’accident est, bien entendu, toutes choses égales par ailleurs, diminué. La question de fond est ici justement la notion de "toutes choses égales par ailleurs"… et par exemple :

Les mesures de protection collectives et individuelles ont-elles été prises et l’employeur s’est-il préoccupé de savoir si elles étaient compatibles avec les activités réelles de travail ? Trop souvent, un salarié peut dorénavant être sanctionné pour non-port de ces EPI, alors même que celui-ci s’avère incompatible avec son travail ou les conditions dans lesquelles son travail s’opère, et notamment celles liées au dérèglement climatique (voir article supra).

L’organisation du travail dont l’employeur est responsable permet-elle un travail en sécurité ? Quelle que soit la qualité de sa formation ou de sa sensibilisation, le salarié évolue dans un environnement qui peut receler des injonctions contradictoires entre l’exécution des tâches qui lui sont prescrites et le respect de sa sécurité et de celle de ses collègues. Pouvoir refuser d’effectuer une tâche si les règles de sécurité ne sont pas réunies suppose l’existence d’un rapport de force qui est loin de toujours exister.

Par cette insistance à la formation et la sensibilisation des travailleurs, les différents plans émanant des pouvoirs publics transfèrent subrepticement la responsabilité de la sécurité sur l’individu salarié et non plus sur l’employeur. C’est ce qu’illustre parallèlement la mise en place du Passeport Prévention en ce mois d’octobre 2022. Si l’accident survient, les questions autour du respect des règles par le salarié, compte tenu des formations qu’il aura reçues, seront les premières à être posées. Le risque est de ne plus se donner la peine de rechercher les causes de non-respect de la règle.

Cela s’inscrit dans la suite des inflexions de la jurisprudence, qui d’une obligation de résultat en matière de sécurité datant de l’arrêt amiante de 2002, s’oriente dorénavant vers une obligation de moyens renforcés, tirant un trait sur 20 ans de conquêtes syndicales.

Parallèlement, le plan de prévention des accidents mortels ne prévoit aucun renforcement des contrôles, aucun moyen renforcé pour l’inspection du travail et les Carsat de vérifier le respect des règles de sécurité par les employeurs, ni leur volonté et capacité à mettre en œuvre une véritable politique de prévention primaire.


 Quelles solutions, quelles alternatives ?

Encore et toujours, les représentants du personnel ont un rôle prépondérant pour faire valoir une véritable politique de prévention au sein de leurs entreprises, car les seuls à demeurer au plus prés des conditions réelles de mise en œuvre des activités de travail. Dans la succession de dispositifs qui limitent leur capacité d’actions – en premier lieu la disparition des CHSCT – un élément positif est à souligner : la consultation rendue obligatoire par la Loi Santé de 2021 sur le document unique d’évaluation et de prévention des risques. Il est indispensable que cette consultation soit l’occasion d’un vrai débat sur la prévention des risques professionnels, qui ne peut, il ne faut cesser de le répéter, que s’inscrire dans une connaissance la plus pointue possible du travail réel et des contraintes auxquelles les travailleurs de tous secteurs sont confrontés.


[1] Voir le Décodage n° 12 d'octobre 2021

[2] Art. L. 4121-1 du Code du travail

[3] Il existe 3 niveaux de prévention : la prévention primaire, la prévention secondaire (réduire les atteintes à la santé des travailleurs en les aidant à mieux gérer les situations à risques), la prévention tertiaire (limiter les conséquences lorsque le risque est survenu)

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