L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 avril 2023 n’établit pas de nouvelles règles. Il entend néanmoins mettre les acteurs du monde du travail (salariés, élus et employeurs) face à leurs responsabilités en ce qui concerne l’urgence climatique.
Pour ce faire, il prend la forme d’un guide à suivre à toutes les étapes du dialogue social, de l’information-consultation des représentants du personnel à la négociation collective, en passant par l’expression directe des salariés.
Coup de projecteur sur un texte dont les objectifs reposent sur une seule interrogation : la prise en compte, par les entreprises, des enjeux environnementaux peut-elle se faire sans obligation pour les employeurs et sans moyens pour les représentants du personnel ?
Article extrait de Décodage n°29 | Octobre 2023
L’esprit de l’ANI : miser sur le consensus et la bonne volonté des entreprises
L’ANI du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social a été signé par la CPME, le MEDEF et l’U2P en ce qui concerne les organisations patronales. La CFDT et la CFTC ont également signé ce texte, au titre des organisations syndicales. La CGT, FO et la CFE-CGC ne l’ont pas signé, mais ne s'y sont pas opposé.
La précision est d’importance, car l’ANI est parfaitement valide en l’état. En effet, conformément à l'article L. 2232-2 du Code du travail, il a bien été signé par deux organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles et il n’a pas fait l’objet d’une opposition de la part d’une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives.
Entreprises et représentants du personnel sont principalement ciblés, présentés comme deux composantes essentielles de la lutte contre les dérèglements climatiques. Dès le préambule de l’ANI, l’accent est mis sur le dialogue (social) : les décisions en faveur de la transition écologique doivent être prises conjointement par l’employeur et les représentants du personnel.
L’ANI insiste donc à dessein sur l’idée de responsabilisation : les enjeux environnementaux sont universels et ne doivent pas être séparés des enjeux sociaux et économiques. Entreprises et représentants du personnel les connaissent déjà et doivent avoir conscience du fait qu’ils sont cruciaux pour l’avenir. De ces enjeux dépend la création de nouveaux emplois, mais également l’évolution de ceux déjà existants.
L’accord souhaite inclure définitivement l’urgence climatique dans le dialogue social, autrement dit dans toutes les discussions entre l’employeur et les représentants du personnel, qu’ils s’agissent des élus syndicaux ou du CSE.
Dans cette logique de faire émerger les décisions sur le terrain, l’accord souhaite impliquer plus directement les salariés dans les questions environnementales.
Si l’objectif est ambitieux, la méthode ne l'est pas vraiment. L’ANI n’émet que des propositions, partant du principe que ces enjeux doivent être pris à bras-le-corps par les acteurs du monde du travail. Il n’a pas vocation à créer des obligations pour les entreprises. Il entend simplement proposer des conseils afin que celles-ci s’adaptent au mieux aux défis environnementaux majeurs qui s’annoncent. De la même manière, il ne prévoit pas de nouveaux droits pour les salariés.
Le texte opère des rappels juridiques sur les textes en vigueur, tout en préconisant de nouvelles pratiques à adopter au sein des entreprises. Le but est que tous les acteurs s’approprient ces textes en vigueur et que les enjeux environnementaux soient systématiquement abordés dans le cadre des négociations.
Difficile de croire dans ces conditions que ces positions de principe, qui ne vont pas au-delà des textes en vigueur, puissent porter leurs fruits. Puissions-nous être détrompés !
Le rôle des représentants du personnel
Renforcer les liens entre consultations du CSE et questions environnementales
Dans le cadre des consultations ponctuelles, l’ANI rappelle que le CSE (dans les entreprises de plus de 50 salariés) est informé et consulté sur les conséquences environnementales pour toute question touchant à l’organisation, à la gestion et à la marche générale de l’entreprise (article L. 2312-8 III du Code du travail). L’avis rendu par le CSE dans ce cadre prend en compte les enjeux climatiques.
L’accord propose qu’un point sur la politique environnementale soit inscrit de façon régulière à l’ordre du jour du CSE, en ce qui concerne les entreprises de plus de 50 salariés.
Pour les entreprises de moins de 50 salariés, l’idée serait d’intégrer directement les questions environnementales dans les compétences du CSE, afin que ce dernier soit systématiquement informé et consulté lorsque ces questions sont abordées.
Le texte rappelle que le CSE est informé des conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise dans le cadre des consultations récurrentes sur les orientations stratégiques, la situation économique et financière, ainsi que sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi (articles L. 2312-17 et 22 du Code du travail).
De la même manière, l’avis du CSE évoquerait naturellement ces conséquences, au même titre que les enjeux sociaux et économiques.
Rappeler l’importance du droit d’alerte face aux risques d’atteintes à l’environnement
L’accord remet en lumière le droit, pour l’élu du CSE qui constate un risque d’atteinte à la santé publique ou à l’environnement, d’alerter l’employeur.
Cette alerte doit être consignée dans un registre où sont mentionnés les produits et procédés utilisés, ainsi que les conséquences sur l’environnement et toute information utile destinée à expliquer l’intérêt de l’alerte. Chacune de ces alertes est datée et signée.
L’employeur s’entretient avec l’élu du CSE concerné et l’informe des suites qu’il entend donner à l’alerte (article L. 4133-2 du Code du travail).
Les salariés, estimant qu’un risque d’atteinte à la santé publique ou à l’environnement existe, peuvent également alerter l’employeur, qui l’informe des suites qu’il réserve à cette alerte (article L. 4133-1 du Code du travail).
Le texte rappelle également que le CSE dispose d’attributions particulières lorsque l’entreprise comprend une installation classée soumise à autorisation. Il est en effet consulté sur les documents à destination des autorités publiques chargées de protéger l’environnement et prend connaissance des obligations prescrites par ces mêmes autorités (articles R. 2312-25 à R. 2312-28 du Code du travail). Les avis du CSE sont transmis au préfet.
Le recours, par le CSE, à un expert en risques technologiques est possible en cas de survenance d’un danger grave. Cela est également possible dans le cadre des consultations faisant suite à une demande d’autorisation d’exploiter une installation présentant des risques pour l’environnement (articles L. 4523-2, R. 4523-2 et R. 4523-3 du Code du travail ; article L. 512-1 du Code de l’environnement).
Il convient de rappeler que l'employeur prend entièrement à sa charge (article L. 2315-80 du Code du travail) les frais d'expertise concernant :
- La consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise (article L. 2315-88 du Code du travail) ;
- La consultation sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail, et l'emploi (article L. 2315-91 du Code du travail) ;
- Les licenciements pour motif économique, dans les entreprises d'au moins 50 salariés, visant au moins 10 personnes sur une même période de 30 jours (article L. 2315-92 I 3° du Code du travail) ;
- Un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel constaté dans l'établissement (article L. 2315-94 1° du Code du travail) ;
- La négociation sur l'égalité professionnelle, dans les entreprises d'au moins 300 salariés et en l'absence de tout indicateur prévu à l'article L. 2312-18 (article L. 2315-94 3° du Code du travail).
L'employeur prend en charge à hauteur de 80% (le CSE finançant les 20% restants sur son budget de fonctionnement) (article L. 2315-80 du Code du travail) les frais d'expertise concernant :
- La consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise (article L. 2315-87 du Code du travail) ;
- Les consultations ponctuelles hors celles visées au deuxième alinéa de l'article L. 2315-80 précité.
Dès lors, à la lecture de ces dispositions relatives au financement de l'expertise sollicitée par le CSE, il apparaît que le recours à un expert en risques technologiques n'y figure pas.
Il semblerait donc que cette expertise fasse partie de celles que le CSE doit entièrement financer en vue de l'élaboration de ses travaux (article L. 2315-81 du Code du travail).
Il est curieux de rappeler les prérogatives du CSE face aux risques d'atteintes à l'environnement alors que cela met justement en relief le manque cruel de moyens offerts à l'instance pour agir. En effet, nul doute que l'auto-financement de l'expertise pour risques technologiques est un frein supplémentaire pour les CSE. Cela constitue une faille de ce texte qui se contente de miser sur la bonne foi des entreprises.
Le CSE peut présenter des observations à l’inspection des installations classées lorsque celle-ci est présente (le CSE étant d’ailleurs informé de cette présence) (article L. 4523-9 du Code du travail).
En outre, lorsqu’il existe un risque d’accident majeur impliquant des substances dangereuses, un plan d’opération interne doit être réalisé. Les représentants du personnel sont consultés au sujet de ce plan, défini comme le document prévoyant la mise en œuvre des moyens existants pour prévenir un sinistre (article 515-41 du Code de l’environnement).
Améliorer l’information du CSE sur les conséquences environnementales
L’accord se charge d’évoquer le droit du CSE à disposer d’informations précises et écrites de la part de l’employeur pour rendre un avis éclairé dans le cadre des consultations (article L. 2312-15 du Code du travail).
Cependant, il est difficile pour le CSE d’apprécier les "conséquences environnementales" d’une décision prise par l’employeur dans la mesure où cette notion n’est pas définie par le Code du travail.
Le texte propose, afin que le CSE dispose d’une information suffisante, que les éléments suivants soient portés à sa connaissance :
- L’analyse environnementale décrite dans la norme 14001 ;
- L’étude d’impact définie par l’article L. 122-1 III du Code de l’environnement (L’ANI préconise à ce titre de s’appuyer sur la règle de proportionnalité définie par l’article L. 122-5 du Code de l’environnement : plus l’étude d’impact fait apparaître un projet d’ampleur et des conséquence environnementales importantes et plus l’information du CSE devra être complète) ;
- L’audit énergétique (DPE) ;
- Le bilan des émissions de gaz à effet de serre ;
- La déclaration de performance extra-financière (DPEF) ;
- Le plan de vigilance ;
- Le plan de continuité d’activité.
Si l’entreprise comprend une installation classée pour la protection de l’environnement, l’accord souhaite que le CSE soit à nouveau informé de la nature des activités effectuées, du régime auquel l’entreprise est soumise, ainsi que des implications environnementales.
Aussi, le CSE devrait à nouveau être informé des obligations de l’entreprise en matière de protection de l’eau, de pollution sonore, de gestion des déchets ou encore de "conversion de flottes" (autrement dit, du passage à l’utilisation de véhicules électriques plutôt que thermiques).
Étoffer la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE)
Obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, la BDESE fournit au CSE toutes les informations nécessaires pour apprécier en continu l’évolution de l’activité de la structure (articles R. 2312-8 et suivants du Code du travail). Elle comprend une rubrique spécifique aux informations environnementales (articles R. 2312-8 10° et R. 2312-9 10° du Code du travail).
Afin d’améliorer l’utilisation de la BDESE, l’ANI propose :
- D’adapter les informations contenues en son sein en fonction du niveau (entreprise, groupe ou établissements distincts). En d’autres termes, il s’agit de présenter les informations par rapport au contexte propre à chaque niveau.
- De négocier son contenu selon l’activité de l’entreprise et du groupe ;
- De détailler son contenu en fonction des activités ;
- D’inscrire les informations de façon encore plus régulière ;
- De prévoir des clauses de revoyure afin de s’assurer que des mesures pertinentes ont été prises.
Afin d’enrichir les informations contenues dans la BSESE, l’ANI propose également :
- D’intégrer le bilan des émissions de gaz à effet de serre, la consommation des matières premières et l’utilisation des sols dans le volet "gestion durable des ressources".
- D’inclure, plus généralement, des indicateurs comme la quantité d’eau et de KW/h utilisés, ainsi que les tonnes de déchets produites.
- De créer une rubrique liée au changement climatique et à la protection de la biodiversité, en fonction de la DPEF.
Orienter la formation des élus vers la sensibilisation aux enjeux environnementaux
L’accord rappelle que dans les entreprises de plus de 50 salariés, les membres nouvellement élus du CSE bénéficient d’une autorisation d’absence rémunérée par l’employeur, au titre d’une formation économique (d’une durée maximale de 5 jours) (article L. 2315-63 du Code du travail).
Le texte met en avant le fait que cette formation (imputée sur la durée maximale de 12 jours au titre du congé de formation économique, sociale, environnementale et syndicale) inclut les problématiques environnementales.
Le texte propose d’étendre le bénéfice de la formation aux élus suppléants ou réélus du CSE.
Soulignons toutefois que la durée de la formation n’évolue pas, de sorte que la prise en compte des enjeux environnementaux se fera nécessairement au détriment des autres sujets.
Inciter à l’utilisation des heures de délégation pour mieux assimiler les enjeux environnementaux
L’accord mentionne la possibilité offerte aux élus du CSE d’utiliser leur crédit d’heures de délégation pour traiter des questions environnementales.
Ce crédit d’heures peut même être dépassé s’il est nécessaire de faire face à des circonstances exceptionnelles (article R. 2314-1 du Code du travail). Les crises causées par un risque environnemental (un incendie ou des inondations, à titre d’exemples) peuvent être des hypothèses de circonstances exceptionnelles.
Les heures de délégation peuvent être mutualisées entre les membres du CSE (articles L. 2315-9 et R. 2315-6 du Code du travail).
Pour autant, le nombre d’heures de délégation n’augmente pas malgré l’importance du sujet, alors qu’il a déjà été mis à mal lors de la fusion des instances et la création du CSE.
Inclure les questions environnementales au cœur de la mission de l’expert-comptable
Le texte rappelle les modalités de recours à un expert-comptable dans le cadre des consultations récurrentes du CSE.
Il suggère, en outre d’intégrer un volet environnemental clairement identifié dans la lettre de mission de l’expert, afin que celui-ci puisse analyser de façon globale les enjeux environnementaux, économiques, financiers et sociaux.
Il s’agit là tout simplement de ce qui découle de la Loi Climat d’aout 2021…
Remettre en lumière le rôle des commissions
L’accord permet de se remémorer les règles relatives à la création d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) au sein du CSE (articles L. 2315-36 à L. 2315-41 du Code du travail).
C’est également l’occasion d’avoir à l’esprit que la CSSCT peut connaître des problématiques liées à la politique environnementale de l’entreprise.
Aussi, une commission dédiée aux questions écologiques peut tout à fait être créée, dans le cadre de l’article L. 2315-45 du Code du travail.
Tout cela sans moyens supplémentaires …
Donner du crédit aux représentants de proximité (RDP) dans la lutte contre les aléas climatiques
Les RDP peuvent être mis en place par accord d’entreprise ou par accord entre l’employeur et le CSE (article L. 2232-12 du Code du travail). Un tel accord viendra définir le nombre de RDP, ainsi que leurs attributions ou encore leurs modalités de fonctionnement.
Le texte conseille :
- D’instaurer des RDP dans les entreprises multisites afin que ces représentants puissent transmettre plus efficacement les informations relatives aux mesures de prévention des risques liés au changement climatique ;
- D’inclure les sujets environnementaux dans le champ de compétences des RDP, afin de favoriser les échanges à ce sujet. En outre, les décisions prises en faveur de la transition écologique seraient adaptées à chaque territoire ;
- D’augmenter les moyens alloués aux RDP.
La question des moyens constitue toujours à notre sens un enjeu essentiel, l’ANI préconise d’augmenter les moyens alloués aux représentants de proximité, mais combien d’entreprises sont prêtes à le faire ?
Généraliser les activités sociales et culturelles (ASC) "vertes"
L’ANI rappelle que le CSE, dans les entreprises de plus de 50 salariés, assure la gestion des ASC (article L. 2312-78 du Code du travail).
Le texte soumet une liste d’ASC, tournées vers la transition écologique, pouvant être proposées :
- Des cartes-cadeaux pour des produits éthiques ;
- Des voyages à faible taux de carbone ;
- Des circuits de proximité ;
- Des espaces de troc destinés aux salariés ;
- L’aménagement d’un jardin partagé ;
- Des ateliers participatifs, des conférences et des évènements dans le but de sensibiliser les salariés à l’urgence climatique ;
- L’engagement d’une réflexion sur le réaménagement de la restauration collective ;
Un bilan des émissions de gaz à effet de serre des activités du CSE peut être établi, de même qu’un plan de réduction de ces mêmes émissions.
Un taux de subvention différencié selon l’impact environnemental pourrait également être proposé.
Ces recommandations peuvent prêter à sourire au regard des enjeux environnementaux aujourd’hui…
Valoriser la place des représentants du personnel dans les organes de gouvernance (conseils d’administration et de surveillance)
L’accord évoque la mission de représentation de l’administrateur salarié au sein des conseils d’administration et de surveillance, dans les entreprises de plus de 1 000 salariés (article L. 225-27-1 du Code de commerce).
L’accord préconise ensuite :
- De mettre en place un comité dédié à la transition écologique et au développement durable (ou à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises). Ce comité pourra ainsi émettre des propositions, liées aux enjeux environnementaux, directement soumises au vote des organes de gouvernance ;
- D’intégrer des administrateurs salariés formés aux questions environnementales dans un comité (dédié à ces questions) déjà existant.
Ici encore, il s’agit de simples préconisations pour les entreprises qui ne sont assorties d’aucune obligation et d’aucun moyen dédié pour les administrateurs salariés…
Le rôle "direct" des salariés
Les salariés doivent être informés par l’employeur des risques environnementaux causés par les produits et les procédés utilisés par l’entreprise. Ils doivent également connaître les mesures prévues pour prévenir ces risques (article L. 4141-1 du Code du travail).
L’ANI souhaite aller plus loin en généralisant un dialogue (complémentaire) sans intermédiaire entre l’employeur et les salariés au sujet des questions environnementales. Sans que cela entrave le rôle du CSE ou des organisations syndicales, le dialogue "professionnel" doit responsabiliser encore davantage les salariés sur les enjeux climatiques.
Plus largement, l’ambition est de favoriser la communication de toute information utile et surtout l’échange au sujet de l’activité de l’entreprise.
Le texte mentionne le droit d’expression directe et collective des salariés, qui permet d’élaborer des actions destinées à améliorer les conditions et l’organisation de travail (articles L. 2281-1 et L. 2281-2 du Code du travail).
L’accord insiste sur la possibilité de systématiser, dans les réflexions sur les conditions et l’organisation de travail, les problématiques posées par les enjeux climatiques. Cela vise notamment la gestion des périodes de canicule ou encore la réduction des consommations énergétiques, des déchets, des polluants et des émissions de carbone lors des déplacements professionnels.
Ce chapitre peut paraitre étonnant, alors que le comité social et économique a pour mission d'assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise, à l'organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions (article L. 2312-8 du Code du travail).
L’enrichissement de la négociation
La négociation d’entreprise
L’accord rappelle que dans les entreprises pourvues de délégués syndicaux, à défaut d’accord relatif au calendrier, à la périodicité, aux thèmes et aux modalités de la négociation, l’employeur est tenu d’engager une négociation annuelle (articles L. 2242-10 et L. 2242-13 du Code du travail).
Cette négociation porte sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise, mais aussi sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que sur la qualité de vie au travail.
Autant de thèmes de négociation qui peuvent, selon l’ANI, intégrer les enjeux environnementaux.
C’est à ce titre qu’il propose d’adapter les conditions et l’organisation de travail, grâce à certaines pratiques :
- La négociation d’un accord sur le télétravail, afin que celui-ci soit prévu lorsque les conditions climatiques rendent cela nécessaire (lors d’un pic de pollution, à titre d’exemple) ;
- La négociation d’un accord sur le temps de travail intégrant des critères environnementaux (en ce qui concerne les horaires de travail, les temps de pause ou encore les équipements) ;
- L’adoption d’un plan de mobilité pour les trajets entre le domicile et le lieu de travail, mais également pour les déplacements professionnels. Ce plan pourrait permettre d’encourager le recours aux transports publics grâce à un meilleur remboursement des titres. Cela vaut également pour le recours aux voitures électriques grâce à un meilleur remboursement du coût de services. Aussi, une plateforme de covoiturage pourrait être créée. De la même manière, l’entreprise pourrait s’engager à convertir sa flotte thermique en une flotte électrique.
Dans le cadre des négociations sur les rémunérations, l’ANI soumet l’idée d’insérer des critères environnementaux dans le calcul de l’intéressement.
Le texte préconise également de réaliser des placements de fonds d’épargne salariale vers des investissements socialement responsables. Par exemple, une prime d’intéressement ou de participation épargnée pourrait servir à financer des activités économiques ayant un impact certain sur le plan social et environnemental.
L’ANI suggère de négocier un accord et un agenda social spécifiquement dédiés à la hiérarchisation des projets engagés sur le plan environnemental.
Ici encore, la question des objectifs et des moyens se pose, notamment pour ce qui concerne l’intégration de critères environnementaux dans les accords d’intéressement. En effet, cela tend à renvoyer la responsabilité sur les salariés, qui le cas échéant seront pénalisés financièrement, alors qu’ils ne sont en rien décideurs.
La négociation de branche
La négociation de branche peut notamment concerner les salaires, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, les conditions de travail, l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés, la formation professionnelle ou encore les classifications (article L. 2241-1 du Code du travail).
Le texte soumet l’hypothèse d’intégrer les enjeux environnementaux dans la négociation de branche. Concrètement, cela pourrait passer par :
- L’adaptation de l’organisation et des conditions de travail en fonction des aléas climatiques (notamment en ce qui concerne les horaires de travail, les temps de pause et les équipements) ;
- La négociation d’un accord de méthode destiné à hiérarchiser les projets menés au nom de la transition écologique ;
- La négociation d’accords d’intéressement incluant des critères liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
La négociation sectorielle
La négociation sectorielle permet aux organisations syndicales et aux employeurs d’un même secteur d’activité (qui comprend les entreprises ayant la même activité principale) de négocier des accords sur la détermination des revenus des salariés, les conditions d’exercice de l’activité professionnelle, la prévention des risques professionnels ou encore sur les modalités de développement des compétences professionnelles (article 7343-36 du Code du travail). Cette négociation s’opère dans le cadre de commissions paritaires composées de représentants des salariés (désignés par les organisations syndicales) et de représentants des employeurs.
De façon générale, les rédacteurs du texte estiment qu’il est nécessaire d’évoquer les questions environnementales au sein des commissions paritaires. Cela peut prendre la forme :
- De dispositifs d’accompagnement vers la transition écologique pour les entreprises d’un même secteur. Ces dispositifs seraient alors mis en œuvre dans le cadre des Commissions paritaires professionnelles de négociation et d’interprétation (CPPNI) ;
- De propositions en matière d’ASC vertes, de travaux d’anticipation et de diagnostics ou encore d’aides logistiques pour les entreprises engagées vers la transition écologique. Ces mécanismes seraient alors mis en œuvre dans le cadre des Commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) ou des commissions équivalentes au niveau national pour certains secteurs spécifiques (tels que l’artisanat ou les professions libérales).
La négociation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) au niveau de l’entreprise
Pour les entreprises de plus de 300 salariés, la mise en place d’une GPEC est obligatoire dans le cadre de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (article L. 2242-20 du Code du travail).
En d’autres termes, ces entreprises doivent anticiper les évolutions sociales, économiques ou technologiques et adapter les métiers, ainsi que les compétences de leurs salariés, à ces évolutions. Des actions peuvent ainsi voir le jour afin d’améliorer la formation, de valoriser les acquis de l’expérience ou encore de favoriser l’accompagnement de ces salariés.
La GPEC doit déjà, en principe, intégrer les enjeux environnementaux. Mais l’ANI souhaite renforcer cela en proposant une procédure déclinable en plusieurs étapes :
- Améliorer la sensibilisation des salariés aux enjeux écologiques en fonction des spécificités de l’entreprise et du secteur ;
- Établir un bilan anticipant les évolutions des métiers et des compétences de l’entreprise en lien avec la transition écologique ;
- Créer une cartographie de ces métiers concernés (avec des indices basés sur la croissance, la tension et les tendances d’évolution pour chacun d’entre eux) ;
- Instaurer un plan d’action en faveur de la transition écologique ;
- Mettre en place un plan de développement des compétences en fonction des enjeux environnementaux.
Ce faisant, l’ANI se contente de réaffirmer le principe même de la GPEC.
La négociation relative à la GPEC au niveau de la branche
L’ANI rappelle que la GPEC au niveau de la branche a pour fonctions principales d’informer sur l’évolution du secteur d’activité et de mettre en place un suivi des actions menées à l’échelle de la branche. Le cadre de la GPEC de branche est fixé à l’article L. 2241-12 du Code du travail.
À la lecture du texte, l’intégration des enjeux environnementaux dans la GPEC de branche passe, successivement, par :
- L’établissement d’un bilan des actions et des emplois engagés dans la transition écologique au niveau de la branche ;
- Le recueil, par les branches, des informations données par les opérateurs de compétences (OPCO) sur les enjeux environnementaux. En effet, ceux-ci ont notamment pour mission "d’informer les entreprises sur les enjeux liés au développement durable et de les accompagner dans leurs projets d’adaptation à la transition écologique, notamment par l’analyse et la définition de leurs besoins en compétences" (article L. 6332-1 I 7° du Code du travail). Cette mission consiste à établir des études et des diagnostics et à synthétiser ce travail sous la forme de rapports ;
- L’instauration d’un plan d’action basé sur les rapports des OPCO et d’un suivi de ce plan.
Les perspectives de l’ANI : des outils et des enjeux à saisir
L’ANI est conclu pour une durée indéterminée.
Un comité de suivi de l’accord est établi paritairement. Il est composé des organisations de salariés (deux seulement) et d’employeurs signataires. Les modalités de suivi doivent être déterminées par les signataires de l’ANI avant le 31 décembre 2023.
Le comité de suivi doit tenir sa première réunion au plus tard deux ans à compter de la conclusion de l’ANI. Par la suite, il doit se réunir tous les ans.
Le comité a pour but de faire un état des lieux des pratiques, d’analyser le fonctionnement du dialogue social en entreprise au sujet de la transition écologique et d’évaluer la portée de l’ANI.
À ce sujet, il convient d’adopter un optimisme mesuré. Certes, l’accord voit le jour dans un contexte où l’urgence climatique ne peut plus être ignorée : la multiplication des vagues de chaleur et des catastrophes naturelles meurtrières démontre la nécessité de passer d’une logique de réaction à une logique d’action.
Aussi, élus et salariés sont effectivement conscients de ces enjeux environnementaux. Il est évident que ceux-ci sont (et seront) force de proposition(s) et sauront saisir les outils mis à leur disposition.
La vertu pédagogique de l’ANI du 11 avril 2023 est donc louable, mais elle se heurte à une problématique majeure : un guide de bonnes pratiques peut-il avoir les mêmes effets que la norme imposée, la loi, qui oblige, qui punit et qui octroie des moyens ? En d’autres termes, les entreprises vont-elles réellement se saisir de ces conseils ?