Depuis le 27 septembre dernier, les salariés des raffineries et dépôts français de TotalEnergies et ExxonMobil (Esso) sont en grève reconductible pour exiger une augmentation générale des salaires dans un contexte d’inflation record.
Si cette grève a été initiée par la seule CGT, les organisations syndicales de l’entreprise n’ont eu de cesse, depuis le début de l’année, d’interpeller l’employeur sur la nécessité de compenser les effets de l’inflation sur le niveau de vie et le pouvoir d’achat des salariés, après une année 2021 marquée par un gel des salaires et des augmentations en 2022 ne permettant pas même de compenser les effets de l’inflation de l’année précédente.
Dans ce contexte, la hausse de la rémunération globale de 52 % entre 2020 et 2021 du PDG de l’entreprise, Patrick Pouyanné, et le versement à venir d’un acompte sur dividende exceptionnel de 2.62 Mds€ ont attisé le conflit social. Les fruits du contexte économique favorable à l’entreprise avaient ainsi été partagés en priorité aux actionnaires et dirigeants, alors que la direction de Total renvoyait les salariés et leurs représentants aux Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) au mois de novembre pour négocier et déterminer leur "part du gâteau".
Revendiquant des mesures immédiates non satisfaites, les salariés ont dès lors lancé un mouvement social qui a eu pour effet une déstabilisation de la chaîne de production – distribution du pétrolier, se traduisant par des pénuries de carburant. La Première Ministre Élisabeth Borne, loin d’adopter une position neutre et conciliatrice, décidait dès lors, à partir du 11 octobre dernier, de lancer une vague de procédures de réquisition des personnels d’Esso-ExxonMobil et de TotalEnergies. Le 16 octobre dernier, elle annonçait que les réquisitions pourraient se multiplier.
Ces décisions, qui prennent de fait parti pour les directions des pétroliers puisqu’elles réduisent le pouvoir de négociation des salariés, ont fait l’objet de requêtes en référé à l’initiative de la CGT. Ces recours ont tous été rejetés, au motif que les grèves – et les pénuries en découlant – généraient un trouble à l’ordre public (tensions en stations de service, risques d’accident liés aux files d’attente), et qu’ainsi, "en mettant en place un service visant à assurer, par un nombre restreint mais suffisant de salariés, la seule expédition de carburants", les préfets n’ont "pas porté au droit de grève une atteinte grave et manifestement illégale".
Ces jugements sont pourtant largement critiquables. D’une part, au niveau national, on pourrait considérer que tous les recours avant de procéder à une telle atteinte au droit de grève n’ont pas été épuisés.
D’autre part, au niveau international, la pratique des réquisitions en France a déjà fait l’objet d’une recommandation particulièrement sévère du Comité de la liberté syndicale de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) s’apparentant à un blâme – voire à une "condamnation" au sens général du terme. Le Comité avait ainsi indiqué que le secteur pétrolier n’était pas un "secteur essentiel" au sens de l’OIT. Dès lors, la règle est qu’il ne peut faire l’objet de réquisition comme un service "essentiel" (un hôpital, par exemple). En revanche, exception peut être faite pour les "besoins de ravitaillement des véhicules prioritaires", une disposition à laquelle la CGT souscrit.
Pour autant, les réquisitions ordonnées par la Première Ministre dépassent cette portée de "service minimum", puisque cette dernière a par exemple indiqué que moins d’un quart des stations étaient en rupture de stock dans les Hauts-de-France, une des régions antérieurement les plus touchées par la pénurie.
Il y a donc fort à parier que la France sera à nouveau tancée par l’OIT en cas de saisine, alors qu’en bloquant les mesures de redistribution et de partage des richesses, son Gouvernement a en même temps bloqué le pays.
Antonin Mazel & Emmanuelle Sebbah
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