Contrôle de la durée du travail : une obligation en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés

L'employeur a l'obligation de contrôler la durée de travail de ses salariés au regard de la protection de leur santé et de leur sécurité. Un arrêt récent de la Cour de cassation rappelle ce principe.

Article extrait de Décodage n°29 | Octobre 2023


 

L'obligation de contrôle de la durée de travail de l'employeur est liée à son obligation de santé et de sécurité

L'arrêt du 5 juillet 2023 (Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-24.122) traite du cas d'une entreprise spécialisée dans l'ingénierie et la construction de projets pour l'industrie de l'énergie, au sein de laquelle plusieurs événements tragiques sont survenus depuis 2015, dont de nombreux syndromes d'épuisement professionnel et plusieurs suicides.

Le CHSCT, le CE d'un des établissements et plusieurs syndicats ont saisi le juge judiciaire pour faire juger que la société n'avait pas respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et lui ordonner de mettre en place des mesures d'urgence pour lutter contre les risques psychosociaux, notamment un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajet inhabituels des salariés, et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire réalisé dans le mois, donc de prendre des mesures de prévention suffisantes pour lutter contre le surmenage. Il existait un logiciel de déclaration des heures de travail effectuées, mais en raison des réglages opérés dans ce logiciel, les salariés étaient dans l'incapacité de déclarer leurs heures supplémentaires.

Pour la cour d'appel, malgré la carence structurelle du système de déclaration des heures supplémentaires, l'employeur n'avait commis aucun manquement car le seul fait que le logiciel de déclaration soit défaillant n'empêchait pas les salariés de faire une déclaration par tout autre moyen.

Par ailleurs, la cour d'appel constatait qu'un mécanisme d'alerte des risques psycho-sociaux était déjà en place et que la question du temps de travail et des moyens de contrôle faisait l'objet de négociations au sein de l'entreprise.

La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel. Elle fonde sa décision sur :

  • les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail qui définissent l'obligation de sécurité dont est tenu l'employeur envers ses salariés : il doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ;
  • la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail : les différentes prescriptions en matière de temps minimal de repos constituent des règles de droit social d'une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé ;
  • la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne :

 

Selon la Cour de cassation, ni la faculté ouverte aux salariés de procéder par eux-mêmes aux déclarations d'heures supplémentaires ni l'ouverture de négociations collectives n'étaient de nature à caractériser que l'employeur avait satisfait à son obligation de contrôle de la durée du travail et d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de durée du travail.

 

 


Le cadre légal du contrôle de la durée du travail

Le contrôle de la durée du travail diffère selon que les salariés sont soumis à un horaire collectif ou à un horaire individualisé. L'horaire de travail est considéré comme collectif lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire (art. D. 3171-1 du Code du travail). L'employeur n'a pas à effectuer de décompte individuel mais doit afficher l'horaire collectif (art. D. 3171-2 du Code du travail).

L'horaire de travail est considéré comme nominatif et individualisé lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail (art. D. 3171-8 du Code du travail). L'employeur doit alors établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés (art. L. 3171-2 du Code du travail). Le CSE a la possibilité de consulter ces documents.   

La durée du travail de ces salariés est décomptée (art. D. 3171-8 du Code du travail) :

  • par enregistrement quotidien, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ;
  • par récapitulatif hebdomadaire, selon tous moyens, du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié.

Ce décompte peut être effectué sur n'importe quel support (carnet papier, fichier informatique, etc.). L'employeur peut demander à ses salariés qu'ils enregistrent eux-mêmes manuellement les heures de travail qu'ils ont effectuées. Cependant, cela n'exonère pas l'employeur de son obligation de contrôle de la durée de travail de ses salariés.

Ce décompte peut également être effectué par un système d'enregistrement automatique qui doit être fiable et infalsifiable (art. L. 3171-4 du Code du travail).


Cas particulier du contrôle de la durée du travail des salariés en forfaits-jours

Pour rappel, seuls peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année (art. L. 3121-58 du Code du travail) :

  • Les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
  • Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Malgré l'autonomie dont disposent ces salariés, l'employeur est tenu de contrôler la durée de leur travail. Cette durée est décomptée chaque année par récapitulatif du nombre de journées ou demi-journées travaillées (art. D. 3171-10 du Code du travail).

Un arrêt récent de la Cour de cassation a d'ailleurs affirmé qu'un salarié soumis à une obligation de pointage lors de son entrée dans l'usine pour chaque demi-journée de présence ne dispose pas d'une réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps pour être éligible à une convention de forfait en jours (Cass. soc., 7 juin 2023, n° 22-10.196). Les relevés de pointage reprenaient chaque jour les heures d'arrivée et de départ et le nombre d'heures travaillées : une journée de travail devait comptabiliser 6 heures de présence dans l'entreprise.

Ainsi, l'obligation dont est tenu l'employeur de contrôle la durée de travail de ses salariés en forfaits-jours ne doit pas les priver de leur autonomie. Dans le cas contraire, ces salariés ne peuvent pas conclure de convention de forfait en jours.

 


Que faut-il retenir ?

Le contrôle de la durée du travail est une obligation qui repose sur l'employeur.

L'employeur doit mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. L'instauration d'un tel système relève de l'obligation générale, pour l'employeur, de mettre en place une organisation et les moyens nécessaires pour :

  • protéger la sécurité et la santé de ses salariés ;
  • permettre aux instances représentatives du personnel, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, d'exercer leur droit.

La défaillance d'un système de contrôle de la durée du travail ne peut pas être atténuée par la faculté ouverte aux salariés de procéder par eux-mêmes aux déclarations d'heures supplémentaires, ni par l'ouverture de négociations collectives sur la question du temps de travail et des moyens de contrôle.

En tout état de cause, l'employeur doit mettre en place un système de contrôle objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail quotidien et hebdomadaire de ses salariés. Un système défaillant de contrôle constitue alors un manquement à l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu envers ses salariés.

S'agissant des salariés en forfaits-jours, le contrôle de la durée du travail opéré par l'employeur doit être compatible avec l'autonomie réelle dans l'organisation de leur emploi du temps dont doivent bénéficier ces salariés.

Partager cet article