Élus, vous pouvez dépasser votre crédit d’heures de délégation en cas de circonstances exceptionnelles !

L’article R. 2314-1 du Code du travail autorise les membres titulaires du CSE à dépasser leur nombre d'heures de délégation en cas de circonstances exceptionnelles. Autrement dit, lorsque le contingent d’heures de délégation des membres du CSE est épuisé, ils peuvent recourir à son dépassement de manière exceptionnelle. Dans un arrêt en date du 12 mai 2021 (n° 19-21.124), la Cour de cassation nous donne un exemple de ce que peut constituer une circonstance exceptionnelle.

 

Article extrait de Décodage n°24 | Mars 2023


 

Dans cette affaire, un élu titulaire au sein d’un comité d’établissement dont il est également trésorier, a dépassé de 8 heures son crédit d’heures de délégation sur les mois de janvier et février 2019. Il soutient que ce dépassement s’inscrit dans le cadre de circonstances exceptionnelles : l’absence de deux membres du comité, dont le trésorier adjoint qui est en arrêt maladie.

Il a donc saisi le conseil de prud’hommes en référé le 29 mai 2019 afin d’obtenir de son employeur un rappel de salaires correspondant à ces 8 heures de délégation. 

Le conseil a donné raison à l’élu et a condamné l’employeur. Ce dernier s’est pourvu en cassation en affirmant que le comité n’était pas en sous-effectif et pouvait exercer ses activités normalement car il était composé de 7 titulaires et de 2 suppléants.

La Cour de cassation rejette la demande de l’employeur et confirme l’ordonnance du conseil de prud’hommes : l’absence de membres d’un comité d’établissement, dont celle du trésorier adjoint en arrêt maladie, caractérise bien des circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement des heures de délégation

Cette affaire est relative au comité d’établissement mais peut très bien se transposer au CSE.

Par ailleurs, dans cet arrêt la Cour reconnaît que le refus de l’employeur de payer au salarié les heures
de délégation supplémentaires cause un préjudice à l’intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat. Ce dernier peut donc demander le paiement d’une somme au titre du préjudice subi.

C’est la jurisprudence qui a défini les circonstances exceptionnelles qui justifient le dépassement des heures de délégation. En dehors de ces cas, les heures de délégation supplémentaires ne sont pas rémunérées par l’employeur et le dépassement peut constituer une faute grave justifiant un licenciement.


Comment caractériser les circonstances exceptionnelles ?

Les circonstances exceptionnelles supposent une activité inhabituelle nécessitant de la part des représentants un surcroît d'activité débordant le cadre habituel de leurs tâches en raison notamment de la soudaineté de l'événement ou de l'urgence des mesures à prendre (Cass. crim., 3 juin 1986, n° 84-94.424).

La présomption de bonne utilisation des heures de délégation ne s'étend pas à celles prises en fonction de circonstances exceptionnelles (Cass. soc. 10 juin 1997, n° 94-42.546).

 

Il appartient au salarié de prouver, avant tout paiement, l'existence de circonstances exceptionnelles qui justifient, un dépassement de ses heures de délégation, de même que la conformité de l'utilisation de ces heures excédentaires avec sa mission (Cass. soc. 29 janv. 1992, n° 88-44.227).

Ainsi, contrairement aux heures intégrées au crédit d’heures, l’employeur est en droit de vérifier l’existence de circonstances exceptionnelles avant de payer les heures de délégation afférentes à celles-ci (Cass. soc. 16 déc. 2020, n° 19-19.685).

Outre la circonstance reconnue dans l’arrêt commenté plus haut, la Cour de cassation a admis d’autres cas de circonstances exceptionnelles qui sont transposables au CSE (cette liste n’est pas exhaustive) : 

  • la conjoncture économique difficile dans laquelle se trouvait l'entreprise (Cass. soc. 26 oct. 1977, n° 76-40.058) : l’entreprise traversait une conjoncture économique difficile et ne comportait pas de comité, cela a suscité de l'inquiétude sur les perspectives de maintien des emplois, même si l'employeur n'avait précisé qu'une semaine plus tard son projet de diminution des effectifs. Ce contexte nécessitait pour les délégués du personnel de se déplacer plus fréquemment afin de s'informer des dispositions à prendre notamment en fonction de la loi nouvelle sur les licenciements collectifs pour cause économique, et d'être en mesure de faire toutes suggestions utiles en temps voulu 
  • la préparation d'un important licenciement pour motif économique :
    • les représentants du personnel ont dépassé leur crédit légal d’heures de délégation car ils ont effectué de multiples démarches et leur activité en tant que représentant du personnel s’est accrue, car cela était nécessaire en raison de la situation de l'entreprise qui envisageait un licenciement collectif de 147 salariés (Cass. soc. 7 déc. 1977, n° 75-41.031) ;
    • l'existence de circonstances exceptionnelles aux mois de novembre et décembre 2009 ainsi qu'au mois de janvier 2010 est caractérisée par une procédure de licenciement collectif pour motif économique décidée à l'occasion d'un projet de réorganisation de l'entreprise, ainsi que par le déclenchement d'une procédure d'alerte (Cass. soc. 27 févr. 2013, n° 11-26.634) ;
  • l'examen d'un important projet de restructuration (Cass. soc. 6 juill. 1994, no93-41.705) : un important projet de restructuration a nécessité que la direction saisisse le comité d’établissement. Plusieurs séances extraordinaires ont induit des réunions préparatoires et des réunions d'information du personnel du mois d'octobre 1991 au mois de janvier 1992, une consultation par correspondance des salariés d'une agence avait été faite et un nouveau projet d'organisation avait été soumis pour étude aux membres du comité au début du mois de janvier 1992. La Cour a jugé que compte tenu de son ampleur, le projet de restructuration régionale de l'entreprise avait nécessité un accroissement inhabituel de l'activité des membres du comité d'établissement ;
  • le suivi d'un plan de sauvegarde de l'emploi (Cass. soc. 27 nov. 2012 n° 11-21.202) : le dépassement du crédit d’heures de délégation des représentants du personnel est justifié par l'existence de circonstances exceptionnelles liées au suivi d'un plan de sauvegarde de l'emploi initié en mars 2008, à la mise en œuvre de mesures de chômage partiel d'octobre 2008 à avril 2009 et à la poursuite au cours de la même période d'une instance judiciaire impliquant 147 salariés revendiquant le paiement d'un rappel de salaire ;
  • une menace sur les effectifs (Cass. soc. 10 déc. 2003 n° 01-41.658) : une entreprise a mis en place un "plan de repositionnement" assimilable à un plan social qui s’apparente selon la Cour à une menace sur les effectifs caractérisant une circonstance exceptionnelle ;
  • une possible délocalisation (Cass. soc. 6 mars 2002 n° 99-45.134) :  le délégué syndical a dépassé son crédit d’heures en effectuant des démarches en raison de la possible délocalisation de l'entreprise en Israël et le contingent de licenciement qui en aurait découlé ainsi que par des rencontres, à ce sujet, avec des personnalités ;
  • l'existence d'un conflit collectif important(Cass. soc. 8 juill. 1998, n° 97-42.743) : l’activité des représentants du personnel s’est accrue en raison d’un conflit collectif qui a affecté tous les ateliers et s’est prolongé dans l'entreprise sur plusieurs mois ;
  • l'obligation de faire face à diverses démarches consécutives au licenciement de trois salariés (Cass. soc. 28 oct. 2003, n° 02-42.067) : en raison du licenciement imprévu de trois salariés, le représentant du personnel, a dû faire face à un surcroît de démarches et d'activité entraînant un dépassement exceptionnel de son crédit d'heures ;
  • la reprise par le CSE de la gestion du restaurant d'entreprise (Cass. soc. 17 mai 1979 n° 78-40.217) : la direction de l’entreprise a abandonné la gestion directe du restaurant d’entreprise. Le comité d’entreprise a repris cette gestion et cela a nécessité une réorganisation et la recherche d’un gestionnaire qui a entraîné un petit dépassement légitime des heures de délégation de la représentante du personnel ;
  • lors de la démission de la quasi-totalité des membres du comité d’entreprise (Cass. soc. 4 déc. 2002, n° 00-43.717) : la secrétaire et la trésorière d’un comité d'entreprise, seules restées en fonctions après la démission collective des autres élus composant l'institution, ont dépassé leur crédit d’heures, en raison de la charge de travail occasionnée par la démission de la quasi-totalité des membres du comité ce qui a créé une situation particulière au sein de celui-ci qui rendait sa gestion très délicate ;
  • en cas de projet de mise en place d’une institution de prévoyance(Cass. soc. 27 janv. 1998,
    n° 95-40.616) :  le projet de mise en place d'une institution de prévoyance qui a provoqué une réunion extraordinaire du comité d'établissement, a donné lieu à un accroissement inhabituel de l'activité des membres du comité.

 

Pour rappel, les heures de délégation représentent le temps nécessaire aux représentants du personnel pour exercer leurs fonctions.

Les représentants élus et syndicaux qui peuvent bénéficier du crédit légal d’heures sont :

  • les membres titulaires du CSE ;
  • le représentant syndical au CSE (dans les entreprises d'au moins 501 salariés) ; 
  • le représentant syndical au CSE central (dans les entreprises d’au moins 501 salariés dont aucun des établissements distincts n’atteint ce seuil) ;
  • le délégué syndical ;
  • le délégué syndical supplémentaire ;
  • le délégué syndical central ;
  • le représentant de la section syndicale ;
  • la section syndicale ;
  • l’élu au conseil d’entreprise ;
  • l’administrateur salarié ;
  • le conseiller du salarié ;
  • le membre d’une commission paritaire régionale interprofessionnelle.

 

Nous allons par la suite plus particulièrement nous intéresser au crédit d’heures de délégation des membres du CSE.


De combien d’heures de délégation disposent les membres du CSE ?

Le protocole préélectoral peut déterminer le volume des heures individuelles de délégation des membres du CSE (art. L. 2314-7 du Code du travail). Ce volume peut également être déterminé dans l’accord de mise en place du CSE.

À défaut d'accord mieux-disant, seuls les titulaires et les représentants syndicaux au CSE bénéficient d'heures de délégation.

À défaut d'accord, les membres du CSE disposent d’un nombre d'heures de délégation qui dépend de l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement et du nombre de membres de la délégation (art. R. 2314-1 du Code du travail). Le nombre d'heures de délégation des titulaires ne peut être inférieur à 10 heures par mois dans les entreprises de moins de 50 salariés et à 16 heures dans les autres entreprises (art. L. 2315-7 du Code du travail). 

Les représentants syndicaux au CSE et au CSE central dans les entreprises d'au moins 501 salariés bénéficient d'un crédit d'heures qui ne peut excéder 20 heures par mois sauf circonstances exceptionnelles (art. L. 2315-7 et R. 2315-4 du Code du travail). Un accord collectif peut prévoir un contingent d’heures de délégation différent.


Comment sont rémunérées les heures de délégation ?

Le temps passé en délégation par les représentants du personnel est de plein droit considéré comme du temps de travail et payé à l'échéance normale (art. L. 2315-10 du Code du travail).

L'employeur qui souhaite contester l'utilisation faite par le représentant du personnel de ses heures de délégation doit saisir le juge judiciaire (art. L. 2315-10 du Code du travail).

Quelques précisions sur la contestation par l'employeur de l'usage des heures de délégation :

 

Les représentants du personnel et les représentants syndicaux qui utilisent leurs heures de délégation bénéficient d’une présomption d’utilisation conforme. Autrement dit, un représentant du personnel qui fait usage de ses heures de délégation est considéré comme les utilisant exclusivement dans le cadre de ses fonctions.

Le Code du travail impose à l'employeur de payer à l'échéance normale les heures de délégation allouées aux représentants du personnel et aux représentants syndicaux. L'entreprise a la possibilité de contester l'usage de ces heures après les avoir payées. Avant de saisir le juge pour obtenir le remboursement des heures de délégation indûment payée, l'employeur doit demander à l'intéressé d'indiquer l'utilisation de ses heures de délégation. Cette demande de précision peut s'effectuer par l'envoi de plusieurs lettres recommandées. Si le représentant du personnel ou le représentant syndical répond à l'employeur en lui transmettant des bons de délégation, cela s'analyse en un refus de réponse. L'employeur est alors fondé à saisir le juge pour obtenir le remboursement de ces heures de délégation.

Cass. soc., 16 février 2022, n° 20-19.194

L'employeur qui refuse de payer les heures de délégation d'un salarié à l'échéance normale, car il estime que ses mandats représentatifs ne couvrent plus désormais l'intégralité de son temps de travail, opère en réalité une retenue sur le salaire mensuel de ce salarié. Une telle situation constitue un trouble manifestement illicite que le juge des référés peut faire cesser en ordonnant le remboursement des retenues ainsi opérées, peu important que la contestation soulevée par l'employeur soit sérieuse.

Cass. soc., 1er juin 2022, n° 20-16.836

 

Certains moments s’intégrant dans l’exercice des fonctions des membres du CSE sont considérés comme du temps de travail effectif et payés comme tel (art. L. 2315-11 et R. 2315-7 du Code du travail). Ils ne sont pas déduits du crédit d’heures de délégation des représentants (art. L. 2315-11 et R. 2315-7 du Code du travail).

Il s’agit du temps passé :

  • aux réunions du CSE ;
  • aux réunions de la CSSCT ;
  • à la recherche de mesures préventives dans toute situation d'urgence et de gravité, notamment lors de la mise en œuvre de la procédure de danger grave et imminent dans le cadre du droit d'alerte pour danger grave et imminent ;
  • aux enquêtes menées après un accident du travail grave ou des incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave dans le cadre du droit d'alerte pour risque grave ;
  • aux réunions internes du comité et de ses commissions (dans la limite d'une durée globale fixée par accord d'entreprise ou à défaut d’une durée annuelle globale de 30 heures pour les entreprises de 300 salariés à 1000 salariés et 60 heures pour les entreprises d'au moins 1000 salariés).

Le temps passé aux réunions du CSE avec l'employeur par les représentants syndicaux au comité est rémunéré comme temps de travail (art. L. 2315-12 du Code du travail). Ce temps n'est pas déduit des heures de délégation dans les entreprises d'au moins 501 salariés.


Comment utiliser les heures de délégation ? 

Présomption de bonne utilisation :

Les membres du CSE qui utilisent leurs heures de délégation bénéficient d’une présomption d’utilisation conforme. Autrement dit, lorsqu’un représentant du personnel fait usage de ses heures de délégation, on considère qu’il le fait exclusivement dans le cadre de ses fonctions.

Mutualisation des heures de délégation :

Les membres titulaires du CSE peuvent, chaque mois, répartir entre eux et avec les membres suppléants le crédit d'heures de délégation dont ils disposent (art. L. 2315-9 du Code du travail).

Ce partage des heures entre les membres du CSE ne peut conduire l'un d'eux à disposer, dans le mois, de plus d'une fois et demie le crédit d'heures de délégation dont bénéficie un membre titulaire.

Par ailleurs, les membres titulaires concernés doivent avertir l'employeur du nombre d'heures réparties au titre de chaque mois au plus tard 8 jours avant la date prévue pour leur utilisation. L'information de l'employeur se fait par un document écrit qui précise leur identité ainsi que le nombre d'heures mutualisées pour chacun d'eux (art. R. 2315-6 du Code du travail).

Utilisation des heures pendant ou hors temps de travail :

Les heures de délégation peuvent être prises aussi bien pendant qu'en dehors des heures de travail.

Les heures de délégation prises en dehors de l'horaire de travail en raison des nécessités du mandat doivent être payées comme des heures supplémentaires (Cass. soc. 12 févr. 1991, n° 88-42.353).

Si l’employeur conteste l’utilisation du crédit d’heures d’un représentant du personnel, ce dernier doit rapporter la preuve qu’il était obligé d’accomplir son mandat en dehors de son temps de travail.

Il doit prouver, par exemple, que les nécessités de son mandat le justifiaient afin de pouvoir prendre contact avec des salariés ne travaillant pas selon les mêmes horaires que lui (Cass. soc., 20 janv. 1993, no 89-41.560).

Il doit également prouver que la prise d’heures de délégation, les dimanches et jours fériés, en dehors de son horaire de travail, les nécessités de son mandat, est justifiée par les nécessités de ses mandats. Les difficultés dans la pose des heures de délégation durant le temps de travail, eu égard à une situation de sous-effectif chronique et volontaire qui perturbait le fonctionnement de la société et agaçait ses collègues devant le remplacer, ne sont pas une justification admise par la Cour (Cass. soc. 14 oct. 2020 n° 18-24.049).

Libre utilisation des heures de délégation :

Le représentant du personnel choisit librement le moment où il va utiliser son crédit d’heures. L’employeur ne peut ni s’y opposer ni juger de l’opportunité d’accorder ou non une autorisation, sous peine de commettre un délit d’entrave.

Néanmoins, l’employeur peut exiger que les membres du CSE le préviennent lorsqu’ils quittent leur poste de travail pour partir en délégation, afin d'assurer la bonne marche de l'entreprise (remplacement du salarié, aménagement des postes de travail, etc.) et comptabiliser les heures de délégation utilisées au cours du mois (Cass. soc., 18 janv. 1961, n° 59-40.536).

Les bons de délégation :

Des dispositions conventionnelles peuvent aménager les modalités de départ des élus et instaurer par exemple un délai de prévenance ou encore un système de "bon de délégation". 

L’employeur qui souhaite être informé avant que le salarié n'utilise son crédit d'heures peut établir des bons de délégation. Ils vont également lui servir à comptabiliser les heures de délégation effectivement prises au cours du mois.

Ce formulaire remis par l'employeur au représentant du personnel, qui devra être rempli chaque fois que celui-ci entend faire usage de son crédit d'heures, ne doit servir qu'à l'information préalable du chef d'entreprise et au calcul des heures utilisées sans créer au profit de l'employeur un droit de contrôle a priori - ce qui s’apparenterait à un délit d’entrave (Cass. crim. 25 mai 1982).

Pour pouvoir imposer l’usage des bons de délégation, l’employeur doit au préalable se concerter avec le CSE – en tant qu’institution représentative concernée par la mise en place de ces bons – (Cass. crim., 12 avr. 1988, n° 87-84.148).

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