Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a défini une grille d'analyse de la validité des accords collectifs prévoyant le forfait jours. Cette grille permet d'apprécier si ces accords collectifs respectent l'exigence de protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au forfait jours. Récemment quatre conventions de branche ont été soumises à cette grille. Trois d'entre elles ont été invalidées par la Cour de cassation, nous vous expliquons pourquoi.
Article extrait de Décodage n°29 | Octobre 2023
Analyse des arrêts récents
La convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM) du bâtiment a rejoint la liste des rares accords répondant aux exigences relatives au droit à la santé et au repos afin d'assurer la protection des salariés soumis au forfait jours (Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-23.294).
Pour la Cour de cassation, la convention de branche des ETAM du bâtiment assure le contrôle de la durée raisonnable de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires des salariés soumis au forfait jours. Eu égard à sa grille d'analyse, cette convention comporte bien des mesures relatives au décompte des journées travaillées, et des mesures relatives au suivi de la charge de travail accompagnées de mécanismes permettant de remédier aux situations de surcharge de travail du salarié. Plus précisément, la convention prévoit que :
- l'organisation du travail des salariés soumis à une convention de forfait en jours fait l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos. La convention impose à l'employeur de veiller au risque de surcharge de travail du salarié et d'y remédier ;
- le document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) est tenu par l'employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l'ensemble des jours de repos dans le courant de l'exercice ;
- la situation du salarié est examinée lors d'un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique, qui portera sur la charge de travail du salarié, l'amplitude de ses journées d'activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié.
Toute convention individuelle de forfait jours établie sur le fondement de cette convention collective est donc valide.
Inversement, ont été jugées comme présentant des garanties insuffisantes en termes de protection de la santé et de la sécurité des salariés en forfait jours :
- la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires (Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 20-20.572) ;
- la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire (Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-23.387) ;
- la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes (Cass. soc., 5 juillet 2023, n° 21-23.122).
Ces deux conventions collectives de branche rejoignent la longue liste des accords de branche ayant été invalidés par la Cour de cassation.
Il est à noter que la Cour de cassation avait déjà analysé la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile (Cass. soc., 9 nov. 2016, n° 15-15.064).
La convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires prévoit :
- un décompte des journées travaillées ou des jours de repos pris établi mensuellement par l'intéressé ;
- la remise par les cadres concernés, une fois par mois à l'employeur qui le valide, d'un document récapitulant le nombre de jours déjà travaillés, le nombre de jours ou de demi-jours de repos pris et ceux restant à prendre ;
- à l'occasion de la remise du document récapitulatif, doit s'opérer le suivi de l'organisation du travail, le contrôle de l'application du présent accord et de l'impact de la charge de travail sur leur activité de la journée ;
- le contrôle des jours est effectué soit au moyen d'un système automatisé, soit d'un document auto-déclaratif (le document signé par le salarié et par l'employeur est conservé par ce dernier pendant 3 ans et tenu à la disposition de l'inspecteur du travail).
La convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire prévoit que :
- l'employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l'établissement d'un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail. Ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur ;
- les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d'un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel il sera évoqué l'organisation du travail, l'amplitude des journées d'activité et de la charge de travail en résultant.
La convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile prévoit que :
- la charge quotidienne de travail doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié ;
- les entreprises sont tenues d'assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail.
- le respect des dispositions contractuelles et légales est assuré au moyen d'un système déclaratif : chaque salarié en forfait jours doit renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet. Ce document de suivi du forfait fait apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés. Ce document rappelle la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables ;
- le salarié bénéficie chaque année d'un entretien avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien a, notamment, pour objectif de vérifier l'adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en œuvre les actions correctives en cas d'inadéquation avérée.
Pour la Cour de cassation, ces trois conventions collectives de branche n'instituent pas de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Les mesures prévues dans ces accords ne garantissent pas que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables. Elles n'assurent pas une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé. Par conséquent, les mesures prévues dans ces accords ne permettent pas d'assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié en forfait jours.
Toute convention de forfait en jours conclue en application de ces accords collectifs est donc nulle.
Le cadre légal du forfait jours
Le "forfait jours" consiste à forfaitiser la durée du travail d'un salarié sur une année (art. L. 3121-53 et L. 3121-54 du Code du travail). L'employeur et le salarié s'accordent sur le versement d'une rémunération globale correspondant au nombre de jours travaillés pendant l'année. La durée du travail n'est donc pas comptabilisée en heures et les heures supplémentaires ne sont pas prises en compte (sauf en cas de contentieux si le juge déclare la convention individuelle illicite).
Le forfait jours doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit (art. L. 3121-55 du Code du travail). Par ailleurs, pour pouvoir conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, il faut qu'un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche le prévoit (art. L. 3121-63 du Code du travail). Autrement, aucune convention individuelle de forfait annuel en jours ne peut être valablement conclue, même avec l’accord exprès du salarié concerné.
Tous les salariés ne peuvent pas conclure de convention individuelle de forfait en jours sur l'année (art. L. 3121-58 du Code du travail). Seuls peuvent conclure une telle convention :
- les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
- les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
L'accord collectif fondant le recours aux conventions individuelles de forfait contient un certain nombre de clauses obligatoires (art. L. 3121-64 du Code du travail). Il doit déterminer :
- les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des définitions légales des catégories de salariés éligibles ;
- la période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs ;
- le nombre de jours compris dans le forfait, dans la limite de 218 jours ;
- les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
- les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre de jours compris dans le forfait ;
- les modalités protectrices selon lesquelles :
- l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
- l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;
- le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
Les salariés en forfait jours sont généralement ceux dont la nature des fonctions les amène à avoir une durée excessive de travail. À ce titre ils ne sont pas soumis aux dispositions légales relatives (art. L. 3121-62 du Code du travail) :
- à la durée quotidienne maximale de travail effectif (10 heures) ;
- aux durées hebdomadaires maximales de travail (48 heures sur une même semaine, 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives) ;
- à la durée légale hebdomadaire de travail (35 heures).
En contrepartie, la rémunération du salarié en forfait jours doit être manifestement en rapport avec les contraintes qui lui sont imposées afin de tenir compte de sa charge de travail. À défaut, le salarié peut saisir le juge judiciaire pour obtenir une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l'entreprise, et correspondant à sa qualification (art. L. 3121-61 du Code du travail).
Même si les dispositions relatives aux durées légales et maximales de travail ne s'appliquent pas aux salariés en forfait jour, ils gardent le droit au minimum de repos quotidien (11 heures), au repos hebdomadaire (35 heures soit 24 heures auxquelles s'ajoutent les 11 heures de repos quotidien), à l'interdiction de travailler plus de 6 jours par semaine, aux jours fériés dans l'entreprise et aux congés payés. Tout salarié (quelle que soit la nature de ses fonctions) bénéficie d'un droit au repos.
Par ailleurs, ils ont également droit à un nombre annuel de jours de repos prévus à l'avance. En pratique, ce nombre de jours de repos correspond au nombre annuel de jours calendaires auxquels il faut déduire :
- le nombre maximum de jours travaillés dans l'année ;
- les jours de repos hebdomadaire ;
- les jours fériés chômés ne tombant pas un jour de repos habituel ;
- les congés payés légaux et supra légaux.
Le salarié disposant d'une convention de forfait en jours, peut, en accord avec son employeur et s'il le souhaite, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire (art. L. 3121-59 du Code du travail). En d'autres termes, le salarié disposant d'une convention de forfait en jours a la possibilité (avec accord de l'employeur) de convertir ses jours de repos non pris (et donc travaillés) en majoration de salaire.
L'accord entre le salarié et l'employeur est alors établi par écrit. L'avenant à la convention de forfait conclue entre le salarié et l'employeur détermine le taux de la majoration applicable à la rémunération de ce temps de travail supplémentaire, sans qu'il puisse être inférieur à 10 %. Cet avenant est valable pour l'année en cours. Il ne peut être reconduit de manière tacite.
La conformité du forfait annuel en jours avec les impératifs de santé a été remise en cause devant le Comité européen des droits sociaux – CEDS (institution du Conseil de l'Europe chargée de la mise en œuvre par les États membres de la Charte sociale européenne).
Pour le CEDS la réglementation française sur le forfait jours n'est pas conforme à la Charte sociale européenne (CEDS 14 janvier 2011, n° 55/2009). Néanmoins, il faut noter que la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct dans un litige entre particuliers et ne crée des obligations qu'à l'égard des États.
Afin de sécuriser le dispositif de forfait jours sur les questions relatives aux impératifs de santé et de sécurité (au regard notamment des dispositions européennes comme la Directive européenne n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail), la Cour de cassation a défini une grille d'analyse de la validité des accords collectifs prévoyant le forfait jours (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107). Pour la Cour de cassation, dans l'arrêt du 29 juin 2011, dès lors que l'accord collectif contient des mesures effectives qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires, alors la convention individuelle de forfait en jours respectant ces mesures est licite.
Puis, elle a introduit des critères plus exigeants dans sa grille d'analyse. L'accord collectif contient des mesures effectives qui assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires s'il prévoit :
- un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ;
- des mesures garantissant que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables ;
- des mesures qui assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé.
Par la suite, la Cour de cassation a soumis sa grille d'analyse à de nombreux accords collectifs de branche dont les stipulations relatives au forfait jours ont été invalidées, car ne garantissant pas suffisamment la protection de la sécurité et de la santé des salariés au forfait jours.
La loi du 8 août 2016 dite El Khomri a tiré les conséquences de cette jurisprudence en renforçant le cadre juridique du forfait jours. Cette loi a instauré les modalités protectrices (cf. supra) devant être contenues dans l'accord collectif fondant le recours aux conventions individuelles de forfait (art. L. 3121-64 du Code du travail). Elle a également ajouté que l'employeur peut pallier un accord collectif, dont il relève, qui comporte des garanties insuffisantes pour la santé et la sécurité des salariés au forfait jours (art. L. 3121-65 du Code du travail). Il peut valablement conclure une convention individuelle de forfait en jours s'il applique les dispositions supplétives créées par la loi du 8 août 2016. Ainsi, si les stipulations de l'accord collectif relatives à l'évaluation et au suivi de la charge de travail du salarié, à l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération et sur l'organisation du travail dans l'entreprise, sont inexistantes ou insuffisantes, alors l'employeur peut appliquer les dispositions suivantes :
- il établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées pouvant être renseignés par le salarié (sous sa responsabilité) ;
- il s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
- il organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail (qui doit être raisonnable), l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
Il est à noter qu'à la suite de son arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a invalidé un certain nombre d'accords collectifs de branche dont les stipulations ne permettaient pas d'assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au forfait en jours.
Les branches concernées ont alors dû réécrire leurs dispositions relatives au forfait en jours afin de sécuriser les conventions individuelles de forfait en jours des salariés soumis à leurs accords de branche. Il s'agit de :
- l'accord collectif sur l'organisation et la durée du travail dans l'industrie chimique (Cass. soc., 31 janv. 2012, n° 10-19.807) ;
- l'accord collectif relatif à la réduction et à l'aménagement du temps de travail de la branche des aides familiales rurales et personnel de l'aide à domicile en milieu rural (Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-10.854) ;
- l'accord collectif sur la réduction et l'aménagement du temps de travail dans les entreprises de l'habillement (Cass. soc., 19 sept. 2012, n° 11-19.016) ;
- la convention collective nationale de commerces de gros (Cass. soc., 26 sept. 2012, n° 11-14.540) ;
- la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (Cass. soc., 24 avr. 2013, n° 11-28.398) ;
- la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes (Cass. soc., 14 mai 2014, n° 12-35.033) ;
- l'accord collectif relatif à la durée du travail dans les entreprises de bâtiment et travaux publics (Cass. soc., 11 juin 2014, n° 11-20.985) ;
- la convention collective nationale du notariat (Cass. soc., 13 nov. 2014, n° 13-14.206) ;
- la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire (Cass. soc., 4 févr. 2015, n° 13-20.891) ;
- l'accord collectif relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail, aux congés payés, au travail de nuit et à la prévoyance des hôtels, cafés et restaurants (Cass. soc., 7 juill. 2015, n° 13-26.444 ; Cass. soc., 25 janv. 2017, n° 15-14.807) ;
- la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile (Cass. soc., 9 nov. 2016, n° 15-15.064) ;
- l'accord collectif relatif à l'ARTT de la branche de l'immobilier (Cass. soc., 14 déc. 2016, n° 15-22.003) ;
- l'accord collectif relatif à la réduction du temps de travail de la branche des avocats salariés (cabinets d'avocats) (Cass. soc., 8 nov. 2017, n° 15-22.758) ;
- l'accord collectif RTT des entreprises de commission, de courtage et de commerce intracommunautaire et d'importation exportation de France métropolitaine (Cass. soc., 17 janv. 2018, n° 16-15.124);
- la convention collective nationale des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs (Cass. soc., 6 nov. 2019, n° 18-19.752) ;
- l'accord collectif relatif à l'application de la réduction du temps de travail de la branche du bricolage (Cass. soc., 24 mars 2021, n° 19-12.208).
En revanche, peu d'accords collectifs de branche ont été jugés conformes à l'exigence de protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au forfait jours. Seuls l'accord sur l'organisation du travail dans la métallurgie (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-71.107) ou encore l'accord d'aménagement et de réduction du temps de travail conclu dans le secteur des banques (Cass. soc., 17 déc. 2017, n° 13-22.890), ont été validés par la Cour de cassation.
Quel avenir pour le forfait jours ?
Pour résumer, la Cour de cassation a créé des exigences allant au-delà de ce qui est prévu dans le Code du travail. Ces exigences jurisprudentielles privent d'effet les dispositions du Code du travail relatives aux modalités de suivi de la charge de travail (art. L. 3121-64 du Code du travail) et celles qui permettent de ne pas soumettre les salariés en forfait jours aux durées légales et maximales de travail (art. L. 3121-62 du Code du travail).
L'accord collectif (d'entreprise, d'établissement ou de branche) qui prévoit la possibilité de conclure des conventions de forfait en jour doit prévoir des garanties permettant le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
Cet accord collectif doit également prévoir des mesures qui assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié. Les seuls évaluation et suivi régulier de la charge de travail du salarié ne suffisent pas. L'accord collectif prévoyant le forfait jours doit instituer un suivi plus approfondi, il doit être effectif. De plus, l'évaluation et le suivi de la charge de travail doivent permettre à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail. L'accord doit également prévoir des modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié.
La Cour de cassation étant plus exigeante que le Code du travail, cela crée de l'insécurité juridique. On peut s'interroger sur l'avenir du forfait jours.
Il est à noter que le CEDS n'a pas été convaincu par le renforcement juridique apporté par la loi du 8 août 2016 (CEDS 10 novembre 2021, n° 149/2017). Le CEDS a affirmé que la législation française du forfait jours, telle que modifiée par la loi du 8 août 2016, ne respecte toujours pas les dispositions de la Charte sociale européenne révisée relatives au droit à une durée raisonnable de travail journalier et hebdomadaire et au droit à une rémunération équitable (qui passe par le droit à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires).
La Cour de cassation aurait pu tirer les conséquences de la récente décision du CEDS en rajoutant, dans sa grille d'analyse de la validité des accords collectifs, de nouveaux critères relatifs à la durée raisonnable de travail journalier et hebdomadaire et au droit à une rémunération équitable. Malgré les décisions du CEDS, à travers sa jurisprudence, la Cour de cassation a tenté désespérément de sauver le dispositif du forfait jours. Or, les dispositions de la Charte sociale européenne révisée invoquées par le CEDS reconnaissent des droits qui figurent dans des textes nationaux et européens qui, eux, sont invocables lors d'un litige entre particuliers.
Au vu de la position du CEDS et la jurisprudence constante de la Cour de cassation relative au forfait jours, il serait souhaitable à notre sens que le législateur s'empare du sujet.
En tout état de cause, une convention individuelle de forfait est illicite dès lors qu'elle a été conclue sans accord collectif préalable ou en application d'un accord collectif dont les stipulations ne permettent pas d'assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié en ce qu'elles ne garantissent pas une amplitude et une charge de travail raisonnables et n'assurent pas une bonne répartition, dans le temps, du travail du salarié.
L'employeur, dont l'entreprise relève d'un accord collectif présentant des lacunes, peut toujours sécuriser le dispositif de forfait jours en appliquant les dispositions supplétives tout en prenant en compte les exigences jurisprudentielles s'appliquant aux accords collectifs prévoyant le forfait jours.
Lorsque la convention de forfait est déclarée illicite par le juge, elle devient nulle ou privée d'effet. Le salarié n'étant plus considéré comme un salarié soumis au régime du forfait jours, il a alors droit au paiement des heures supplémentaires qu'il a effectuées.
Le délai de prescription est alors de 3 ans à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action en paiement. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des 3 dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat (art. L. 3245-1 du Code du travail).
Un sujet épineux pour les entreprises.