Lanceurs d'alerte : les apports de la loi du 21 mars 2022

Le régime de protection des lanceurs d'alerte créé par la loi "Sapin 2" a montré ses limites. La récente loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte renforce le statut de lanceur d'alerte et crée de nouvelles obligations pour les entreprises.

 

Article extrait de Décodage n°21 | Novembre 2022


 

 

De nombreux scandales financiers, fiscaux, sanitaires, etc., impliquant de grandes entreprises ou des institutions d'État, ont été dévoilés grâce à des personnes ayant eu le courage de les révéler au grand public. Ces scandales ont mis en lumière la nécessité d'assurer une protection de ces personnes appelées "lanceurs d'alerte". Avant 2016, il n'existait pas de dispositif législatif général de protection des lanceurs d'alerte. Il existait seulement des dispositifs en fonction du secteur d'activités (l'alerte en matière de santé publique et d'environnement, l'alerte dans le cadre de la lutte contre la corruption, etc.). En raison de la multiplicité des dispositifs de protection des lanceurs d'alerte, il devenait nécessaire de créer un statut unifié du lanceur d'alerte. La loi du 9 décembre 2016 dite "Sapin 2" a permis de créer des règles générales de protection des lanceurs d'alerte et la récente loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte renforce les règles créées par loi Sapin 2.


Les bénéficiaires du régime protecteur des lanceurs d'alerte

La définition de lanceur d'alerte de la loi Sapin 2 de 2016

La loi Sapin 2 donne une définition générale du lanceur d'alerte[1]. Il s'agit d'une personne physique qui divulgue, de manière désintéressée et de bonne foi, des faits dont elle a personnellement connaissance. Ces faits sont soit un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'une règle de droit international ou national, ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général. Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client, sont exclus du régime de l'alerte.

Il résulte de cette définition que les personnes morales comme des organismes, des syndicats ou des associations ne peuvent pas être reconnues en tant que lanceur d'alerte. Par ailleurs, la personne physique qui divulgue des faits pour le compte d'un tiers ou qui est informée par un lanceur d'alerte, sans avoir eu une connaissance personnelle des faits en cause, ne peut pas non plus être reconnue comme lanceur d'alerte. Enfin, elle doit agir de manière désintéressée, c'est-à-dire qu'elle ne doit tirer aucun bénéfice personnel du lancement de l’alerte et ne doit pas recevoir de contrepartie financière.

Les critères du désintéressement et de la bonne foi ont été critiqués, car considérés comme flous et sources d’insécurité juridique pour les lanceurs d’alerte[2].

La définition de lanceur d'alerte de la loi du 21 mars 2022

Un lanceur d'alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation du droit international ou du droit de l'Union européenne, de la loi ou du règlement[3].

Lorsque les informations n'ont pas été obtenues dans le cadre d'activités professionnelles, le lanceur d'alerte doit en avoir eu personnellement connaissance.

Par ailleurs, les faits, informations et documents, quel que soit leur forme ou leur support, dont la révélation ou la divulgation est interdite par les dispositions relatives au secret de la défense nationale, au secret médical, au secret des délibérations judiciaires, au secret de l'enquête ou de l'instruction judiciaire ou au secret professionnel de l'avocat, sont exclus du régime de l'alerte.

Cette définition abandonne le critère de désintéressement afin de ne pas exclure certains lanceurs d'alerte, dont l'action pouvait être considérée comme intéressée, tels que ceux en conflit avec leur employeur ou avec des concurrents[4].

La connaissance personnelle des faits est également abandonnée dans le cadre professionnel. Un salarié lanceur d’alerte pourra ainsi signaler des faits qui lui ont été rapportés.

Le champ des informations incluses dans le régime de l'alerte est élargi. Les faits dénoncés peuvent porter sur des informations relatives à un crime, délit ou violation du droit, mais également sur des tentatives de dissimulation de ces violations. La violation de la règle suffit, elle n'a plus à être grave et manifeste.

Enfin, la liste des faits exclus du régime de l'alerte a également été élargie.

Il est à noter que les personnes en lien avec un lanceur d'alerte bénéficient désormais de certaines des protections dont bénéficient les lanceurs d'alerte (irresponsabilité pénale, protection contre les mesures de représailles ou les menaces, etc.). Il s'agit des facilitateurs, à savoir toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d'alerte à effectuer un signalement ou une divulgation[5]. Il s'agit également des salariés ayant rapporté des faits à un lanceur d'alerte.


La mise en place d'une procédure de signalement

Le lanceur d'alerte qui souhaite dénoncer des faits doit respecter une procédure de signalement.

La procédure de signalement de la loi Sapin 2 de 2016

Le signalement s'effectue de la manière suivante :

  • Dans un premier temps, le signalement est interne : le lanceur d'alerte informe son supérieur hiérarchique, direct ou indirect ou le référent désigné à cet effet
  • Dans un second temps, le signalement est externe : si, dans un délai raisonnable, la personne destinataire de l'alerte n'a pas traité le signalement, le lanceur d'alerte s'adresse aux autorités compétentes (autorité judiciaire, autorité administrative ou ordres professionnels)
  • Dans un troisième temps, la divulgation est publique : si dans un délai de 3 mois, les autorités compétentes n'agissent pas, le lanceur d'alerte peut divulguer publiquement l'alerte

Seul le danger grave et imminent ou la présence d'un risque de dommages irréversibles peut permettre au lanceur d'alerte de ne pas respecter la hiérarchie du signalement afin de procéder directement à un signalement externe ou à une divulgation publique.

Cette hiérarchie des canaux de révélation a été critiquée, car la première étape obligatoire, à savoir le signalement interne, exposait le lanceur d'alerte à des représailles. En outre, les autorités compétentes dans le cadre des signalements externes étaient mal identifiées.

La procédure de signalement de la loi du 21 mars 2022

Les canaux de signalement restent les mêmes : signalement interne, signalement externe et divulgation publique. Cependant, le lanceur d'alerte a désormais le choix entre le signalement interne et le signalement externe[6]Il n'existe plus de hiérarchie dans le signalement, mais la divulgation publique n'est possible que dans certains cas.

 

Le signalement interne :

Dans le cadre de leurs activités professionnelles, les personnes suivantes peuvent procéder à un signalement interne, lorsqu'elles ne s'exposent à aucun risque de représailles :

  • Les salariés, anciens salariés et candidats à l'embauche ;
  • Les actionnaires, associés et titulaires de droits de vote au sein de l'assemblée générale ;
  • Les membres de l'organe d'administration, de direction ou de surveillance ;
  • Les collaborateurs extérieurs et occasionnels ;
  • Les cocontractants de l’entreprise, leurs sous-traitants ou les membres du personnel ou de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de ces cocontractants et sous-traitants.

 

 

Le signalement externe :

Tout lanceur d'alerte peut adresser un signalement externe, soit après avoir effectué un signalement interne, soit directement auprès des autorités compétentes. Il s'agit notamment :

  • Des autorités compétentes en fonction de l'objet du signalement (la Direction générale du travail (DGT) en matière de relations individuelles et collectives du travail, conditions de travail, la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) en matière d'emploi et formation professionnelle, l'Autorité de la concurrence pour les pratiques anticoncurrentielles, etc.) ;
  • Du Défenseur des droits ;
  • De l'autorité judiciaire.

 

La divulgation publique :

La divulgation publique est possible :

  • Lorsque dans le cadre d'un signalement externe, l'autorité en charge de le recueillir ne l'a pas traité dans les délais impartis ;
  • En cas de danger grave et imminent ;
  • Lorsque les informations sont obtenues dans le cadre des activités professionnelles, en cas de danger imminent ou manifeste pour l'intérêt général, notamment lorsqu'il existe une situation d'urgence ou un risque de préjudice irréversible ;
  • Lorsque le signalement externe ne permettra pas de remédier à la violation en raison des suspicions pesant sur l'autorité externe (conflit d'intérêts, collusion, etc.) ou lorsque l'auteur du signalement externe encourt un risque de représailles.

La divulgation n'est pas possible lorsqu'elle porte atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale.


Renforcement des mesures ayant pour fonction de protéger le lanceur d'alerte

Les mesures de protection et d'accompagnement des lanceurs d'alerte ne leur permettaient pas d'être suffisamment protégés contre le risque financier (perte d'emploi, frein dans la carrière professionnelle, frais judiciaires, etc.) et le risque de représailles[9].

La loi du 21 mars 2022 a renforcé les mesures de protection qui existaient déjà et en a créé de nouvelles :

  • Les procédures de recueil et de traitement des alertes doivent garantir une stricte confidentialité de l'identité du lanceur d'alerte.
  • Le lanceur d'alerte ne peut pas être poursuivi civilement en raison des dommages causés du fait d'un signalement ou d'une divulgation publique dès lors qu'il a des motifs raisonnables de croire, que cela était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.
  • Le lanceur d'alerte ne peut pas être poursuivi pénalement en raison de faits qu'il aurait divulgués.
  • Les formes de représailles sont désormais précisées. Le lanceur d'alerte ne peut pas faire l'objet de mesures de représailles, ni de menaces ou de tentatives de recourir à ces mesures, notamment sous les formes suivantes :
    • suspension, mise à pied, licenciement ou mesures équivalentes ;
    • rétrogradation ou refus de promotion ;
    • transfert de fonctions, changement de lieu de travail, réduction de salaire, modification des horaires de travail ;
    • évaluation de performance ou attestation de travail négative ;
    • discrimination, traitement désavantageux ou injuste.
  • En cas de rupture du contrat de travail consécutive à un signalement, le salarié peut saisir le conseil des prud'hommes. Ce dernier peut désormais obliger l’employeur à abonder le CPF du salarié jusqu'à son plafond.
  • Toute personne qui fait obstacle à la transmission d’un signalement interne ou externe est passible d’1 an de prison et de 15 000 euros d’amende. S'y ajoute à présent une peine complémentaire d’affichage ou de diffusion de la décision pénale.
  • Le lanceur d'alerte victime d'un procès civil en raison des informations signalées ou divulguées peut obtenir jusqu'à 60 000 euros d'amende (30 000 euros auparavant).

Par ailleurs, lorsqu'un procès est engagé contre un lanceur d'alerte, qui vise à entraver son signalement ou sa divulgation publique, la loi du 21 mars 2022 permet au juge de lui allouer une somme d'argent pour faire face aux frais d'instance.

En outre, les autorités compétentes pour recueillir un signalement externe peuvent assurer la mise en place de mesures de soutien psychologique à destination des lanceurs d'alerte. Elles peuvent également leur accorder un secours financier temporaire, s'ils estiment que leur situation financière s'est gravement dégradée en raison du signalement.


DE NOUVELLES OBLIGATIONS POUR LES ENTREPRISES

Les règles relatives au dispositif de protection des lanceurs d’alerte doivent être intégrées aux règlements intérieurs d’entreprise depuis le 1er septembre 2022

La loi du 21 mars 2022 a ajouté des dispositions dans le contenu obligatoire de tout règlement intérieur d’entreprise. Depuis le 1er septembre 2022, les règlements intérieurs d’entreprise doivent rappeler l’existence du dispositif de protection des lanceurs d'alerte.

Pour rappel, les entreprises d’au moins 50 salariés doivent établir un règlement intérieur[10].

Un certain nombre de dispositions doivent obligatoirement y figurer[11]. Il s’agit, notamment, des règles applicables dans l’entreprise en matière de santé et de sécurité, des règles générales et permanentes relatives à la discipline, etc.

Par ailleurs, toute modification ou retrait des clauses du règlement intérieur doivent respecter une procédure d'élaboration. Avant d'introduire le règlement intérieur au sein de l'entreprise :

Dans un premier temps, l’employeur doit recueillir l'avis du CSE.

Dans un second temps, l’employeur doit accomplir les formalités de dépôt et de publicité du règlement intérieur.

En même temps que la formalité de publicité, l'employeur doit communiquer le règlement intérieur à l'inspecteur du travail accompagné de l'avis du CSE.

L'information relative à l'interdiction des discriminations doit être modifiée depuis le 1er septembre 2022

La loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte a modifié l'article 225-1 du Code pénal. Depuis le 1er septembre 2022, il est interdit de discriminer une personne en sa qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte.

Or, dans le cadre de la lutte contre les discriminations, l'article L. 1142-6 du Code du travail prévoit que les salariés, les candidats à une embauche, à un stage, à une fonction exécutive, etc. doivent être informés par tout moyen des textes relatifs à l'interdiction des discriminations et aux sanctions encourues prévus dans le Code pénal.

Par conséquent, cette information par tout moyen (page intranet, affichage, documents remis aux intéressés, etc.), qui s'effectue dans les lieux de travail, dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l'embauche, doit depuis le 1er septembre 2022 être modifiée pour intégrer la modification de l'article 225-1 du Code pénal relative aux lanceurs d'alerte.

 


[1] Article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[2] Rapport d'information (...) sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite " loi Sapin 2 "

[3] Article 6 modifié de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[4] Rapport d'information (...) sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite " loi Sapin 2 "

[5] Article 6-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, modifiée

[6] Article 7-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, modifiée

[7] Article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, modifiée

[8] Décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d'alerte et fixant la liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte

[9] Rapport d'information (...) sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite " loi Sapin 2 "

[10] cf. notre article "Le rôle du CSE dans l’élaboration du règlement intérieur de l’entreprise" dans le Décodage n°16

[11] Art. L. 1321-1 et L. 1321-2 du Code du travail

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