Preuve illicite ou déloyale : un enregistrement vidéo ou audio accepté selon certaines conditions

La Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence le 22 décembre 2023, en admettant qu'une preuve obtenue de façon déloyale ou illicite puisse être acceptée par le juge civil lors d'un procès. Pour cela, la production d'une telle preuve doit être indispensable à l'exercice du droit à la preuve. Un arrêt rendu le 14 février 2024 et un autre le 10 juillet 2024 sont une nouvelle illustration de ce revirement 

 

Article extrait de Décodage n°36 | Septembre 2024


 

Mise en balance du droit à la preuve et du droit au respect de la vie privée 

Dans l'arrêt rendu le 14 février 2024 (Cass. soc., 14 février 2024, n° 22-23.073), la Cour de cassation admet que des images issues de caméras de vidéosurveillance installées illicitement par l'employeur peuvent être acceptées, au cours d'un procès en contestation d'un licenciement, en tant que moyen de preuve de la faute de la salariée.  

Dans l'arrêt rendu le 10 juillet 2024 (Cass. soc., 10 juillet 2024, n° 23-14.900), la Cour de cassation approuve qu'un enregistrement audio obtenu par un salarié à l'insu de son employeur, c’est-à-dire de manière déloyale, puisse être accepté pour étayer des faits de harcèlement moral.  

 

Toutefois, une preuve obtenue de manière illicite ou déloyale n'est pas automatiquement admise. Le juge doit avoir procédé à une mise en balance des intérêts en présence, à savoir le droit à la preuve d'une partie face au droit au respect de la vie privée de l'autre partie. Il effectue alors un contrôle de proportionnalité. 

Le juge doit alors apprécier si : 

  • La production d'une preuve obtenue de façon déloyale ou illicite est indispensable à l'exercice du droit à la preuve d'une partie ; 
  • L'atteinte au droit de l'autre partie engendrée par la production d'une telle preuve est strictement proportionnée au but poursuivi. 

 

Ainsi, pour qu'une preuve obtenue par un dispositif clandestin (produit à l'insu du salarié ou de l'employeur) puisse être admise par le juge dans le cadre du contentieux du licenciement, elle doit passer le contrôle de proportionnalité. 


Présentation des deux affaires 

Mise en balance du droit à la preuve de l'employeur et du droit au respect de la vie privée du salarié  

Les faits : la constatation d'un écart de stocks menant au licenciement pour faute grave d'un salarié 

Un employeur a constaté des anomalies dans les stocks de sa pharmacie. Afin de comprendre l'origine de ces anomalies, il a installé un système de vidéosurveillance pour croiser les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de vente. Ce contrôle réalisé pendant 17 jours a révélé 19 anomalies graves en moins de 2 semaines. 

Par la suite, une salariée de la pharmacie a été licenciée pour faute grave. 

La salariée a contesté son licenciement devant le juge judiciaire. Elle considère que la preuve produite par l'employeur devant le juge judiciaire pour justifier son licenciement a été obtenue de manière illicite et n'est pas respectueuse de sa vie personnelle. 

Plus précisément, elle estime que les enregistrements de vidéosurveillance constituent un moyen de preuve illicite car : 

  • elle aurait dû être informée de la mise en place du dispositif de vidéosurveillance et à ce titre, le CSE aurait également dû être consulté ; 
  • le visionnage des enregistrements de vidéosurveillance aurait dû se limiter aux 2 journées d'inventaire ayant fait ressortir les écarts de stocks. En conséquence, la surveillance constante pendant 17 jours portait une atteinte disproportionnée à la vie personnelle de la salariée. 

 

Dans cette affaire, la question qui se posait était donc de savoir si, dans le cadre de la contestation d'un licenciement pour faute grave, l'employeur peut produire une preuve issue de caméras de vidéosurveillance installées illicitement. 

 

La réponse de la Cour de cassation : l'acceptation d'une preuve illicite est soumise au contrôle de proportionnalité du juge 

Selon la Cour de cassation, en présence d'une preuve illicite issue d'enregistrements de vidéosurveillance, le raisonnement du juge doit être le suivant : 

  • Dans un premier temps, le juge doit s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Dans cette affaire, l'intérêt légitime de l'employeur à obtenir la preuve se caractérise par la constatation d'anomalies dans les stocks. 
  • Ensuite, le juge doit rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. La production d'enregistrements illicites doit alors être indispensable. 
  • Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi. Pour évaluer le droit au respect de la vie privée du salarié, le juge vérifie si l'atteinte portée à sa vie personnelle est proportionnée par rapport au but poursuivi par l'employeur (droit de veiller à la protection de ses biens et au bon fonctionnement de l'entreprise). À ce titre, le juge a constaté qu'après de premières recherches ayant été infructueuses, le visionnage des enregistrements a été limité dans le temps et circonscrit à la seule responsable de l'entreprise. 

 

Il en résulte que la Cour de cassation considère que la cour d'appel a mis en balance de manière circonstanciée le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de son employeur au bon fonctionnement de l'entreprise. Le juge d'appel a, en même temps, pris en compte le but légitime qui était poursuivi par l'entreprise, à savoir le droit de veiller à la protection de ses biens. 

Ainsi, la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'employeur et proportionnée au but poursuivi. Les moyens de preuve obtenus de manière illicite apportés par l'employeur étaient donc recevables. 

 

La procédure à respecter par l'employeur en cas de mise en place d'un système de vidéosurveillance au sein de l'entreprise :

Selon l'article L. 2312-38 du Code du travail, le CSE doit être informé et consulté avant toute décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés 

Le projet d'installation d'un dispositif de vidéosurveillance dans une entreprise constitue un système de contrôle de l'activité des salariés.  

Par conséquent, le CSE doit, préalablement à la mise en œuvre d'un tel projet, être informé et consulté, dès lors que le système de vidéosurveillance enregistre l'activité des salariés affectés à un poste de travail déterminé. 

Par ailleurs, les salariés concernés doivent être préalablement informés de la mise en place d'un tel dispositif (article L. 1222-4 du Code du travail). 

L'employeur doit également porter à leur connaissance un certain nombre d'informations relatives à la mise en place d'un dispositif de surveillance collectant des données personnelles. Cette exigence résulte du Règlement général sur la protection des données (RGPD). 

 

Mise en balance du droit à la preuve du salarié et du droit au respect de la vie privée de l'employeur 

Les faits : la volonté de reconnaissance d'un harcèlement moral  

Une salariée ayant été licenciée saisit la juridiction judiciaire afin de faire reconnaître le fait qu'elle a subi du harcèlement moral. Elle souhaite également que son licenciement soit reconnu en tant que licenciement abusif. 

Pour établir la réalité des pressions exercées par l'employeur dans le but qu'elle signe une rupture conventionnelle sous la menace d'un licenciement, la salariée produit un enregistrement de l'entretien avec l'employeur réalisé à son insu. Le but de l'enregistrement est de présumer l'existence d'un harcèlement moral. 

La cour d'appel n'accepte pas l'enregistrement en tant que moyen de preuve des faits de harcèlement moral que la salariée allègue. La cour estime que son licenciement est fondé car la salariée avait d'autres choix que d'enregistrer l'entretien pour prouver la réalité du harcèlement subi depuis plusieurs mois. 

Dans cette affaire, la question qui se posait était donc de savoir si dans le cadre de la contestation d'un licenciement en raison de faits de harcèlement moral subis, un salarié peut produire un enregistrement clandestin de son employeur. 

Réponse de la Cour de cassation : l'acceptation d'une preuve déloyale est soumise au contrôle de proportionnalité du juge 

Selon la Cour de cassation, dans un premier temps, il appartient au juge de vérifier si la production de l'enregistrement de l'entretien effectué à l'insu de l'employeur est indispensable à l'exercice du droit à la preuve du harcèlement moral invoqué par la salariée. Pour cette dernière, l'enregistrement appuie les éléments permettant de présumer l'existence du harcèlement tels que les pressions exercées par l'employeur pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle. 

Dans un second temps, si le juge conclut que l'enregistrement est indispensable, il doit alors vérifier si l'atteinte au respect de la vie personnelle de l'employeur (enregistrement à son insu) n'est pas strictement proportionnée au but poursuivi (établir la réalité des faits de harcèlement moral). 

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