Prise en charge des titres-restaurant : une différence de traitement doit être justifiée par des critères objectifs et pertinents

Cette réalité est au cœur d’une décision de la Cour d’appel de Reims, en date du 5 juillet 2023. Celle-ci est significative dans la mesure où la problématique des inégalités de traitement et des discriminations dans l’attribution des titres-restaurant est particulièrement sensible actuellement. En effet, des décisions contradictoires rendues par des tribunaux judiciaires entraînent des incertitudes au sujet de la situation des télétravailleurs. La décision de la Cour d’appel de Reims est également significative en ce qu’elle nous permet de mettre en lumière le combat des salariés troyens de Petit Bateau, pleinement engagés pour que les droits des salariés soient respectés.

 

Article extrait de Décodage n°32 | Février 2024


 

À ce titre, la présentation du contexte entourant l’arrêt du 5 juillet 2023 sera suivie d’un entretien mené avec deux de ses acteurs principaux, Vincent Germain, délégué syndical central CGT de l’entreprise Petit Bateau, et Jean-Baptiste Couturier, délégué syndical CGT d’un établissement troyen (Murard 3) de cette entreprise. Un rappel des règles juridiques applicables au local de restauration et aux titres-restaurant viendra mettre en perspective le combat de ces élus et clôturer cette contribution.

 


Le contexte juridique du combat des salariés troyens et de la CGT Petit Bateau

En 2019, 238 salariés du site troyen de l’entreprise Petit Bateau (rue du Lieutenant Pierre Murard), ont saisi le Conseil de prud’hommes de Troyes pour se voir reconnaître leurs droits dans le conflit qui les opposait à leur employeur.

Cette saisine, sous l’égide de la CGT, faisait suite à la fermeture de la cantine, décidée par la direction de l’établissement. Celle-ci qui estimait que l’existence d’un foodtruck au sein de ses locaux suffisait pour que soient respectées les obligations légales en matière de pause méridienne.

La CGT souhaitait que soient mis en place des titres-restaurant ou des primes de panier, afin de compenser la fermeture de la cantine. Le but était également d’aligner la situation des salariés de l’établissement troyen avec celle des salariés de l’établissement parisien (situé rue Réaumur) et des magasins d’usine de l’entreprise Petit Bateau. En effet, les salariés de ces sites bénéficiaient déjà de titres-restaurant.

Pour la CGT, il s’agissait donc simplement de faire respecter des obligations légales et de mettre fin à une rupture d’égalité.

C’est sur cette base que la défense des salariés a été pensée. Les demandes visaient à obtenir la condamnation de l’employeur au paiement d’un rappel de titres-restaurant, mais également au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et moral des salariés.

Le 24 janvier 2022, le Conseil de prud’hommes a estimé que les demandes des salariés n’étaient pas fondées.

Il a jugé que la différence de traitement entre les salariés des différents sites de l’entreprise Petit Bateau était justifiée.

L’argumentation de l’entreprise reposait sur 3 points :

  • Les prix de restauration étaient plus élevés à Paris qu’à Troyes et cela expliquait l’attribution des titres-restaurant à ces seuls salariés parisiens. Par ailleurs, ces derniers devaient composer avec un long temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail, contrairement aux salariés troyens ;
  • L’absence de salle de restauration au sein du site parisien, en raison de la petite taille de celui-ci, devait être prise en considération. À l’échelle de l’entreprise, l’attribution de titres-restaurant a toujours été dépendante de l’(in)existence d’une telle salle et ce principe aurait toujours été validé par les représentants du personnel ;
  • Les salariés de l’établissement de Réaumur travaillent en journée (et non pas en équipe), ce qui les obligerait à déjeuner dans un périmètre limité autour du site.

Le Conseil de prud’hommes a donc été sensible à ces arguments et les salariés de l’établissement troyen de l’entreprise Petit Bateau ont été déboutés. Ils ont également été condamnés au paiement de tous les frais engagés dans cette action en justice.

149 des 238 salariés (ayant initialement saisi le Conseil de prud’hommes) ont décidé de faire appel de cette décision.

 

Le 5 juillet 2023, la Cour d’appel de Reims donne finalement raison aux salariés. Pour elle, l’inégalité de traitement entre les salariés parisiens et troyens est avérée en ce qui concerne l’attribution des titres-restaurant.

Or, l’employeur ne justifie à aucun moment que cette inégalité s’explique par des raisons objectives et pertinentes.

Pour les juges, le coût de la restauration plus élevé à Paris et l’éloignement plus important entre le domicile et le lieu de travail des salariés parisiens ne sont pas démontrés.

De la même manière, l’employeur soutient que l’établissement comprend des spécificités en matière de restauration, qui expliquent l’attribution de titres-restaurant, sans jamais le prouver.

 Enfin, l’employeur affirme que les salariés troyens n’ont pas de repas compris dans leurs horaires de travail alors qu’il ne produit pas de justificatifs en ce sens.

 Les salariés peuvent donc demander l’attribution de titres-restaurant et être indemnisés pour le préjudice financier et moral.

 En revanche, la Cour d’appel de Reims ne suit pas ce raisonnement pour les salariés en équipe. Elle rappelle qu’il est nécessaire qu’un repas soit effectivement compris dans les heures de travail.

 

Un pourvoi en cassation a été formé par la direction à la suite de cette décision.

Cependant, depuis, un accord de sortie de crise a été signé, prévoyant notamment la mise en place de titres-restaurant pour les salariés travaillant en journée ainsi que d’une prime de panier pour les équipes de jour, outre la prise en charge des frais de justice. Le combat a donc payé.

 



Entretien avec Vincent Germain, délégué syndical CGT de Petit Bateau, et Jean-Baptiste Couturier, secrétaire du CSE et délégué syndical CGT de l’établissement de Troyes – Murard 

Après plusieurs années de lutte, la CGT de Petit Bateau vient donc de gagner en appel dans un conflit qui l’opposait à l’entreprise. Le sujet : la participation aux frais de restauration des salariés d’un de ses établissements troyens. Retour sur cette saga judiciaire.

Parlez-nous rapidement de l’entreprise Petit Bateau et de son organisation. Comment sont répartis les salariés entre les différentes implantations ?

"L’entreprise Petit Bateau fait partie du groupe Yves Rocher depuis 1989. Son siège social est situé à Troyes, dans l’Aube. Elle dispose par ailleurs d’un centre de distribution à Buchères dans l’Aube également, ainsi que d’un établissement à Paris, outre un certain nombre de magasins en France et dans le monde.

L'entreprise comptabilisait fin 2022 un peu plus de 900 salariés en CDI, dont près de la moitié sur le site de Murard".

Racontez-nous quand et comment a été décidée la fermeture de la cantine sur le site de Murard. Quel était le contexte au sein de l’entreprise Petit Bateau à ce moment-là ? Le CSE a-t-il été consulté ?

"En 2016, au sein de Murard, il existait un système de restauration géré par Sodexho. L'entreprise finançait l'emploi d'un salarié à temps plein et d'un salarié à mi-temps, ainsi que le matériel et le local, mais elle ne versait pas de participation patronale autre pour les repas.

Ainsi les repas revenaient entre 5 et 7 € en fonction de ce que l'on prenait.

Parallèlement, à Paris et dans les magasins d’usine, les salariés bénéficiaient d'une prise en charge des titres restaurant à hauteur de 4.80 €.

La fréquentation de la cantine à Murard était faible (20 à 30 personnes sur 500 salariés) et de plus des travaux de remise aux normes étaient nécessaires.

La direction a donc décidé d'arrêter ce service.

Elle en a informé le CSE mais ne l'a pas consulté".

À la suite à la décision de fermeture de la cantine, que s'est-il passé ? Quelles ont été les actions menées par les élus et les syndicats ? 

"La CGT a demandé la mise en place de titres-restaurant ou de primes de panier, destinés à compenser la fermeture de la cantine ou à ce que la somme correspondant aux salaires et aux coûts d'entretien de cette cantine soit reversée sur le budget du CSE, afin que celui-ci puisse aider les salariés dans le cadre de leur repas méridien.

La direction, s'appuyant sur le fait que la situation de l'entreprise était moins prospère qu'auparavant, a estimé que l’existence d’un foodtruck au sein de ses locaux suffisait. Ce faisant, elle ne participait à rien financièrement en dehors de la mise à disposition d'un espace pour le foodtruck dans la cour et de l'accès à l'électricité. 

Globalement, cela se traduisait donc par un manque d'équité et le non-respect des dispositions légales.

De plus, outre le fait qu’un foodtruck peut difficilement nourrir les 500 salariés présents sur le site, cela posait des difficultés pratiques : la nourriture proposée par le foodtruck n'était pas très équilibrée, comme l'a souligné le service médical, aucune solution halal ou végétarienne n'était proposée et les gens en équipe n'y avaient pas accès (80 personnes environ).

La CGT a tenté de trouver une solution dès 2016 par le biais de la négociation puis une question officielle a été posée en CSE en octobre 2018 où nos élus mettaient en avant le manque d'équité entre les sites.

Nous nous sommes retrouvés face à un mur, l’ancienne direction considérant que nos demandes n’étaient pas légitimes. Nous avons décidé de saisir les prud'hommes".

Quelle a été la réaction des autres organisations syndicales et des salariés face à cette situation ?

"Pour saisir les prud'hommes, il fallait passer par des saisines individuelles, seule la CGT a monté l'action.

Au départ, environ 280 salariés nous ont suivis. Puis la direction est passée dans les ateliers et certains salariés se sont laissé intimider par les pressions qu'ils ont subies.

Au final, 238 personnes sur les 500 que comptait le site ont suivi la revendication de la CGT et ont saisi les prud'hommes".

Comment a réagi la direction à ce moment-là ?

"Jusqu'alors, elle nous disait : "Vous pouvez y aller, nous sommes droits dans nos bottes".

À partir du moment où les prud'hommes ont été saisis, elle a cherché à négocier et a proposé 1 000 € pour chaque salarié pour arrêter ce litige.

Mais la proposition arrivait un peu tard et les personnes ayant fait une saisine individuelle n'étaient pas d'accord. Cela ne résolvait pas la situation et surtout les salariés n'acceptaient pas que tout le monde soit concerné, y compris ceux qui ne s'étaient pas engagés dans l'action. 

Nous avons donc refusé et la direction est allée dire dans les ateliers et les services que la CGT avait refusé 1 000 euros pour résoudre le litige, ce qui s'appelle diviser pour mieux régner...".

Quelle a été la décision du Conseil de prud'hommes ?

"Nous étions sûrs de nous et de notre bon droit, mais malheureusement nous avons été naïfs : Troyes est une petite ville et il y a beaucoup d'entre-soi.

Nous avons été déboutés aux prud'hommes le 24 janvier 2022. Cela a été un coup dur, d'autant que la direction a une nouvelle fois cherché à influencer les gens pour qu'ils n'aillent pas en appel".

 

 

Comment s'est passé l'appel ?

"Sur les 238 personnes ayant été déboutées aux prud'hommes, 149 sont allées en appel, dont 20 personnes travaillant en équipe.

Les Prud'hommes ont eu lieu à Troyes, mais l'appel était à Reims.

Le jugement en appel nous a donné raison le 5 juillet 2023, sauf pour les personnes en équipe (une vingtaine) qui ont été déboutées malgré les jurisprudences qui existent. 

L’inégalité de traitement entre les salariés parisiens et troyens est avérée et il est tout à fait possible pour ces derniers de demander l’attribution de titres-restaurant. En revanche, il est nécessaire que chacun d’entre eux puisse justifier qu’un repas est compris dans leurs heures de travail.

C'est donc une grande victoire pour la CGT qui a porté l'action. Cependant, les saisines étant individuelles, nous nous sommes retrouvés avec des personnes qui ont des dédommagements très différents de leur collègue de travail, dans un contexte similaire, ce qui génère une incompréhension. La décision du tribunal est en effet fondée sur le nombre réel de jours travaillés et il existait des écarts entre le tableau que la CGT a fourni et celui de la direction.

Par exemple, une personne qui a travaillé peu de temps en journée va toucher 62 €, une autre 435 €, alors qu'un collègue dans une situation similaire va bénéficier de 2 800 €.

Le montant le plus élevé atteint 4 900 € brut avant frais d'avocat.  

Le problème est que la décision se fonde sur des conclusions générales et que si on remet en cause une indemnisation, on remet en cause l'ensemble des indemnisations".

Où en est-on aujourd'hui ?

"La décision de la Cour d'appel est exécutoire, mais la CGT préfère que les indemnisations restent dans un premier temps au niveau de l'avocat pour éviter les difficultés en cas de cassation.

Car la direction s'est pourvue en cassation, mais parallèlement des négociations ont commencé.

Il faut dire que l'équipe de direction a été renouvelée et que le dialogue est plus facile.

Nous avons demandé une somme de 500 euros pour compenser le préjudice passé et la mise en place dans le futur de titres-restaurant (ou de primes de panier pour les gens en équipe du matin ou de l'après-midi).

La direction nous a indiqué ne pas avoir le budget pour payer le passif (les 500 €) mais elle est prête à mettre à disposition à partir de janvier des titres-restaurant et des primes de panier.

Nous sommes soucieux de la situation économique de l'entreprise qui n'est pas très bonne en ce moment, donc nous sommes prêts à revoir notre demande sur le passif, mais à condition que la direction prenne en charge les frais d'avocat ce qui représente à peu près 30 k€.

C'est sur ce point que les négociations sont en cours ainsi que sur la question des personnes en télétravail.

Le budget correspondant s'élèverait entre 500 et 680 k€ à l'année.

À noter qu'entretemps les Parisiens ont déménagé, ils sont maintenant dans le bâtiment du groupe, avec un restaurant d'entreprise, et ils bénéficient d'une prise en charge pour le restaurant d'entreprise, donc les inégalités entre les sites persistent".

(NDLR : Depuis cet entretien, un accord de sortie de crise a été signé, prévoyant notamment la mise en place de titres-restaurant pour les salariés travaillant en journée ainsi que d’une prime de panier pour les équipes de jour, outre la prise en charge des frais de justice.)

Des élections ont eu lieu en début d'année, quels ont été les résultats ?

"Malgré l'apparition à point nommé de la CFE- CGC sur l'ensemble des sites, la CGT sur Murard a fait 10 % de mieux qu'au dernier mandat, avec 75 % des suffrages et un taux de participation de 89 %.

Nous avons même réussi à avoir un poste de cadre sur les 3 au CSE, ce qui est nouveau pour nous.

Sur l'ensemble de l'entreprise, nous représentons 57 %, donc nous pouvons signer seuls des accords".

Quels sont les autres chantiers à venir ?

"Nous venons de réussir à négocier une prime d'ancienneté, qui va jusqu'à 40 euros par mois pour les salariés qui ont 40 ans d'ancienneté, ce qui est pour nous une grande victoire, compte tenu de la forte ancienneté des salariés.

Nous aimerions mettre en place un accord senior pour pallier l'allongement de la durée du travail et pour éviter les licenciements pour inaptitude, compte tenu des pathologies qu'ont certains salariés (TMS, diabète…).  À deux ans de leur départ à la retraite, les ouvriers ont actuellement une semaine de plus de repos, mais la question est : comment fait-on pour garder les gens en bonne santé jusqu'à la retraite ?

Nous souhaiterions également travailler sur la question des proches aidants en parallèle de l'évolution législative.

Et bien entendu, les salariés font face à l'inflation, pour certains ils font entre 40 et 80 km par jour en voiture, ce qui leur coûte très cher. Pourquoi ne pas mettre en place une semaine de 4 jours, un accord mobilité verte ? La négociation d'un tel accord est repoussée depuis 2 ans.

Cette question est importante d'autant que notre intéressement risque de baisser significativement cette année, nous aurons probablement 200 à 300 € en moyenne contre 1 300 € bruts l'an dernier, auxquels l'entreprise a ajouté un complément d'intéressement de 200 € brut. Nous voulions que cela passe plutôt par une prime de partage de la valeur, afin de pouvoir la réserver aux salariés qui gagnaient moins de 3 500 € brut par mois, mais la direction a refusé et a distribué ces 200 € supplémentaires à tous les salariés.

Passer par une PPV plutôt que par un complément d'intéressement aurait été plus avantageux pour les personnes qui avaient besoin de percevoir cette somme immédiatement. 

Nous espérons que les négociations en cours aboutiront positivement et qu'un dialogue social plus constructif va se mettre en place avec la nouvelle équipe de direction".


Du point de vue du droit

Généralités sur le local de restauration

En principe, les salariés ne peuvent pas prendre leur repas sur leur poste de travail (article R. 4228-19 du Code du travail).

  • Dans les établissements d’au moins 50 salariés et après avis du CSE, l’employeur doit mettre en place un "local" de restauration (article R. 4228-22 du Code du travail).
    Ce local est accessible à tous les salariés de l’entreprise, de même qu’à tous les intérimaires (article L. 1251-24 du Code du travail), les salariés mis à disposition (article L. 8241-2 du Code du travail) et les stagiaires (article L. 124-13 du Code de l’éducation).
  • Dans les entreprises de moins de 50 salariés, l’employeur doit mettre à disposition des salariés un "emplacement" de restauration pouvant les accueillir dans de bonnes conditions de santé et de sécurité (article R. 4228-23 du Code du travail).
    Dans ces entreprises de moins de 50 salariés, l’emplacement de restauration peut être aménagé directement dans les locaux affectés au travail si l’activité ne consiste pas à manipuler des produits dangereux et si l’inspecteur du travail donne son autorisation (article R. 4228-23 du Code du travail).

Compte tenu du peu de précisions apportées à la notion "d’emplacement", une interrogation demeure sur la différence entre cette notion et celle de "local". La notion d’emplacement suppose qu’un espace dédié à la restauration soit délimité, mais il n’est pas nécessaire qu’une pièce distincte soit utilisée. Or, la notion de local suppose justement l’inverse.

De plus, au vu du silence du Code du travail sur ce point, il convient de penser que l’emplacement n’a pas à respecter les obligations attachées à la notion de local.

La seule condition d’utilisation commune à l’emplacement et au local de restauration est le nettoyage dont ils doivent faire l’objet après usage (article R. 4228-24 du Code du travail).

  • Au titre des obligations attachées au local de restauration, celui-ci doit comporter (article R. 4228-22 du Code du travail) :
    • Des tables et des sièges en nombre suffisant ;
    • Un point d’eau potable, chaude ou froide, destiné à l’usage de 10 personnes ;
    • Un moyen de conservation ou de réfrigération des aliments, ainsi qu’une installation permettant de les réchauffer.

 

L’employeur ne peut pas se soustraire à son obligation de mettre en place un local de restauration en instaurant simplement un système de titres-restaurant (CE., 11/12/1970, n° 75398).

En cas de manquement de l’employeur à ses obligations de mise à disposition d’un local de restauration, il encourt une sanction administrative prononcée par la DREETS (article L. 8115-1 du Code du travail).

  • Si l’employeur ne met pas en place un local de restauration, il peut, au choix :
    • Installer une cantine ou un réfectoire ;
    • Faciliter l’accès à un restaurant inter-entreprises ;
    • Octroyer des indemnités de repas à ses salariés ;
    • Attribuer des titres-restaurant à ces mêmes salariés.

Généralités sur les titres-restaurant

La définition et les conditions générales d’attribution des titres-restaurant

Les titres-restaurant sont des titres spéciaux de paiement remis par l’employeur à ses salariés afin que ces derniers puissent régler, en totalité ou non, le prix de leurs repas (article L. 3262-1 et suivants ; R. 3262-1 et suivants du Code du travail).

Il s’agit donc d’un dispositif censé pallier l’absence de local de restauration au sein de l’entreprise ou de restaurant à proximité de celle-ci.

Du point de vue de la loi, l’employeur n’a aucune obligation de mettre en place un système de titres-restaurant au sein de l’entreprise. Il s’agit d’un avantage consenti par lui (Cass.Soc., 18/07/2000, n°98-40.402).

Deux salariés travaillant sur un site distinct doivent bénéficier de titres-restaurant si leur horaire de travail inclut un repas et si l’employeur ne peut pas mettre en place un local de restauration (Cass.Soc., 19/12/2001, n° 99-45.295).

Ainsi, même s’ils ne sont pas obligatoires en tant que tels, les titres-restaurant doivent effectivement être mis en place à défaut de toute autre solution de restauration offerte par l’employeur aux salariés.

 

 

Les bénéficiaires et l’utilisation des titres-restaurant

  • Les bénéficiaires

En vertu de l’article R. 3262-7 du Code du travail, les salariés de l’entreprise (ainsi que les apprentis, les intérimaires et les stagiaires) peuvent bénéficier de titres-restaurant à la seule condition qu’un repas soit compris dans leurs horaires de travail.

Cela concerne autant le salarié à temps plein que le salarié à temps partiel (Cass. Soc., 20/02/2013, n° 10-30.028), quand bien même ce salarié à temps partiel, dans les faits, n’a pas utilisé ce temps de pause pour prendre son repas (Cass.Soc., 13/04/2023, n° 21-11.322).

La nature du contrat de travail n’a donc aucune incidence sur le bénéfice des titres-restaurant.

Le représentant du personnel en délégation, effectuant alors un temps de travail effectif, a le droit de bénéficier de titres-restaurant (Cass.Soc., 07/02/1990, n° 87-40.289). Cela vaut également pour le conseiller prud’homal en formation, si un repas est prévu dans ce temps de formation (Cass.Soc., 20/02/2013, n° 10-30.028).

Les salariés dispensés d’exécution de leur préavis, en arrêt maladie ou en congés payés ne peuvent pas bénéficier de titres-restaurant. Cela vaut également pour les salariés d’une entreprise sous-traitante (présents uniquement pour exécuter une tâche précise) ou encore les mandataires sociaux ne disposant pas d’un contrat de travail.

Ainsi, le titre-restaurant est bien attribué en raison des jours de présence effective du salarié à son poste de travail.

 

  • L’utilisation des titres-restaurant

La valeur du titre-restaurant est librement décidée par l’employeur.

Le titre-restaurant ne peut être utilisé que par le salarié bénéficiaire, sous peine d’amende pour celui-ci (articles L. 3262-1, R. 3262-7 et R. 3262-46 du Code du travail).

Le titre-restaurant est utilisable sous format papier ou dématérialisé, dans la limite de 25 euros par jour et uniquement les jours ouvrables (articles R. 3262-7 et R. 3262-8 du Code du travail).

Il convient de préciser qu’Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge des PME, a annoncé le 2 octobre 2023 que les titres-restaurant seront entièrement dématérialisés avant la fin de l’année 2026. La fin des titres sous format papier s’explique par une volonté de simplification, mais également par le souhait de réduire la charge financière pesant sur les restaurateurs.

Les titres-restaurant sont en principe utilisables dans la limite géographique des départements limitrophes du lieu d’emploi. L’employeur peut décider d’élargir cette limite géographique pour les salariés amenés à se déplacer au titre de leur activité (article R. 3262-9 du Code du travail).

En principe là aussi, ils doivent être utilisés pendant l’année civile dont ils font mention et, le cas échéant, pendant 2 mois à compter du 1er janvier de l’année suivante (article R. 3262-5 du Code du travail).

Aucun titre émis pendant l’année en cours ne peut être utilisé par le salarié tant qu’il n'a pas utilisé tous les titres émis durant l’année civile précédente (article R. 3262-5 du Code du travail). En pratique, l’effectivité de cette disposition peut être questionnée. 

Les titres non utilisés au cours d’une année civile peuvent être rendus par les salariés bénéficiaires à leur employeur. Ils peuvent ainsi être échangés gratuitement avec des titres valables pour l’année suivante (article R. 3262-5 du Code du travail).

Les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination dans le cadre de l’attribution de titres-restaurant

  • La présentation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

Le principe d’égalité de traitement, en droit du travail français, signifie que l’employeur doit assurer l’égalité de rémunération entre tous les salariés de l’un ou l’autre sexe, si les salariés concernés sont placés dans une situation identique (Cass.Soc., 29/10/1996, n° 92-43.680).

Le titre-restaurant fait partie de la rémunération, au sens large, protégée par le principe d’égalité de traitement (Cass.Soc., 20/02/2008, n° 05-45.601).

En vertu du principe de non-discrimination, "aucune personne ne peut (…) faire l’objet d'une mesure discriminatoire (…), notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3 (…)" (article L. 1132-1 du Code du travail).

Faisant partie des "avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier" (article L. 3221-3 du Code du travail), le titre-restaurant est donc bien protégé par le principe de non-discrimination.

Ainsi, l’attribution des titres-restaurant doit reposer sur des critères qui, en plus d’être objectifs et pertinents, ne sont pas discriminatoires.

 

  • L’application des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination aux titres-restaurant

En tant qu’avantage social en nature (Cass.Soc., 01/03/2017, n° 15-18.333), le titre-restaurant doit en principe avoir la même valeur pour chaque salarié, sans considération géographique : "Le texte (Ordonnance n° 67-830 du 27 septembre 1967 relative à l'aménagement des conditions du travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant) n’introduit pas de conditions de résidence pour bénéficier des titres-restaurant" (Assemblée nationale, Question n° 19169, Séance du 23 février 1987, Journal officiel de l’Assemblée nationale, 20 juillet 1987, p. 4128).

Il est pourtant possible de conditionner l’attribution des titres-restaurant en fonction de l’éloignement géographique. Cependant, cette différenciation doit reposer sur le critère objectif et pertinent que constitue la distance entre le lieu de travail et le domicile (Cass.Soc., 22/01/1992, n° 88-40.938).

En outre, il est possible de ne pas attribuer de titres-restaurant à un salarié qui ne travaille pas au minimum 15 jours dans l’entreprise au cours d’un même mois. Il faut néanmoins que cette disposition soit prévue pour tous les salariés. Une durée minimale de travail au cours d’un même mois peut donc être un critère pertinent, objectif et non discriminatoire pour octroyer (ou non) des titres-restaurant (Cass.Soc., 16/09/2009, n° 08-42.040).

De la même manière, il est possible de ne pas concéder de titres-restaurant aux salariés qui ne font qu’un court trajet entre leur domicile et le lieu de travail. Si ces salariés peuvent effectivement regagner leur domicile pour préparer leur déjeuner, la différence de traitement est justifiée (CA Nîmes, 27/03/2012, n° 10-04144).

 

La décision de la Cour d’appel de Nîmes précitée n’ayant pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation, il convient d’être mesuré sur sa portée. En effet, il s’agit d’une décision qui est liée à des faits très précis qu’il n’est pas forcément possible de généraliser.

 

Sans autre justification de la part de l’employeur, la différence de traitement n’est pas admise si certains salariés travaillant en horaires décalés (sans repas compris dans leurs heures de travail) bénéficient de titres-restaurant alors que d’autres non (Cass.Soc., 16/11/2007, n° 05-45.438).

La solution est exactement la même concernant les chauffeurs-livreurs d’une entreprise, par rapport au personnel "sédentaire" (les salariés travaillant dans les ateliers ou faisant partie de l’administration) (Cass.Soc., 04/02/2009, n° 07-41.291).

De la même manière, il est impossible de refuser le bénéfice de titres-restaurant à des salariés pour l’unique raison qu’ils sont cadres. La différenciation sur la seule base de la catégorie professionnelle est une pratique discriminatoire. Dans ce cas de figure, l’employeur est, quoi qu’il arrive, dans l’impossibilité de justifier la différence de traitement entre des salariés placés dans une situation identique (Cass.Soc., 20/02/2008, n° 05-45.601).

L’employeur qui commet de telles pratiques discriminatoires peut être condamné à verser des dommages et intérêts afin de réparer le préjudice subi par les salariés privés de titres-restaurant (Cass.Soc., 16/11/2007, n° 05-45.438).

 

  • Le cas particulier des établissements distincts

Les salariés d’une même entreprise et travaillant dans des établissements différents ne peuvent pas subir de différenciation dans l’attribution de titres-restaurant pour la seule raison de leur appartenance à tel ou tel établissement. Le principe d’égalité de traitement explique cela.

Seules des raisons objectives et pertinentes peuvent justifier une différence de traitement entre des salariés (à travail égal ou de valeur égale) relevant d’établissements différents (Cass.Soc., 14/09/2016, n° 15-11.386).

Ainsi, si les sites d’une entreprise disposent d’un local de restauration tout en octroyant des titres-restaurant, cela doit concerner tous les salariés de l’entreprise. Si un salarié se voit refuser le bénéfice de titres-restaurant sous prétexte qu’il existe un local de restauration, il subit une rupture d’égalité non justifiée (Cass.Soc., 19/10/2016, n° 15-20.331).

 

 

  • Le cas particulier du télétravail

Les décisions de justice sont contraires sur cette question. Ce flou a engendré une attente fébrile autour des futures positions des Cours d’appel et de la Cour de cassation.

Pourtant, une logique claire semblait se dessiner. Le principe d’égalité de traitement est d’ordre public et concerne également les salariés en situation de télétravail : "Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise" (article L. 1222-9 III du Code du travail).

Le ministère du Travail applique ce raisonnement à la lettre : en raison du principe d’égalité de traitement, les salariés en télétravail bénéficient des titres-restaurant de la même manière que les autres salariés, si les conditions de travail sont équivalentes (ministère du Travail, Télétravail en période de Covid-19, Questions-réponses).

L’administration de la Sécurité sociale valide cette position (Bulletin officiel de la Sécurité sociale, FN-1800 et AN-155, le 25 juin 2021).

Le Tribunal judiciaire de Paris a adopté une vision conforme à celle des pouvoirs publics (TJ Paris, 30/03/2021, n° 20/09805).

Dans cette affaire, le CSE contestait en justice la décision de l’entreprise de retirer le bénéfice des titres-restaurant aux salariés placés en télétravail en raison de la crise sanitaire.

Pour l’employeur, la différence de traitement s’expliquait par le fait que le télétravailleur peut faire ses repas chez lui. Or, le titre-restaurant a justement pour but de permettre aux salariés qui ne peuvent pas préparer leur repas de se restaurer malgré tout.

En outre, l’employeur estimait qu’il n’était pas responsable du choix des salariés ayant décidé de télétravailler dans un autre lieu que leur domicile (un espace de coworking, à titre d’exemple). Ainsi, si ces salariés ne peuvent pas préparer leur repas, cela relève de leur volonté.

Mais, pour les juges, l’inégalité de traitement n’est absolument pas justifiée.

En effet, ils rappellent :

  • Que le télétravail n’impose pas au salarié concerné de se trouver à son domicile ou de disposer d’un espace dédié à la préparation des repas au sein de celui-ci ;
  • Qu’il n’existe aucun lien entre le bénéfice du titre-restaurant et le fait de disposer d’un espace dédié à la préparation des repas chez soi ;
  • Que l’employeur est soumis à certaines obligations au moment de choisir les bénéficiaires des titres-restaurant. Le respect du principe d’égalité de traitement est une de ces obligations ;
  • Que le télétravail n’est pas incompatible avec le bénéfice de titres-restaurant. Ceux-ci ont pour simple fonction de permettre au salarié de manger lorsque son temps de travail comprend un repas. Ainsi, les salariés présents sur site et les salariés en télétravail sont forcément placés dans une situation comparable.

 

En outre, l’utilisation des titres-restaurant s’est progressivement, et largement, diversifiée. À l’origine,
ceux-ci ne devaient servir qu’à payer le repas pris dans un restaurant. Ainsi, seuls les restaurateurs en question pouvaient accepter les titres-restaurant. La multiplication des formes de restauration (traiteurs, restauration rapide ou encore vente à emporter, à titre d’exemples) a contribué à étendre les possibilités d’utilisation de ces titres.

L’année 2023 a été particulièrement favorable à cet élargissement. Initialement, le titre-restaurant doit payer un repas composé d’aliments directement consommables ou de fruits et légumes (qui n’ont pas à être directement consommables) (articles L. 3262-1 et L. 3262-3 du Code du travail).

Cependant, depuis le 18 août et jusqu’au 31 décembre 2023, il est possible d’utiliser les titres-restaurant pour payer tout type de produit alimentaire, qu’il soit directement consommable ou non (Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, article 6).

Cette mesure temporaire, prise au nom du pouvoir d’achat des Français, gomme encore un peu plus les différences entre les salariés présents sur site et les salariés en télétravail. Dès lors, les inégalités de traitement apparaissent comme étant de moins en moins justifiables.

 

Pourtant, le Tribunal judiciaire de Nanterre a adopté une vision radicalement opposée à celle de la juridiction parisienne (TJ Nanterre, 10/03/2021, n° 20/09616).

Dans cette affaire, une fédération professionnelle avait contesté en justice la décision d’une UES de ne plus attribuer de titres-restaurant aux salariés télétravailleurs d’un site. Les salariés présents physiquement sur ce site ont gardé le bénéfice des titres-restaurant car il n’y avait aucun restaurant d’entreprise.

Les juges de Nanterre ont donné raison à l’UES. Les salariés télétravailleurs de l’UES, parce qu’ils n’étaient pas concernés par le surcoût lié à une restauration en dehors de leur domicile, ne pouvaient pas disposer de titres-restaurant.

Les juges ont estimé que :

  • Les salariés en télétravail n’étaient pas dans une situation comparable à celle des salariés présents sur site. En effet, l’octroi de titres-restaurant à ces derniers devait simplement pallier l’absence de restaurant d’entreprise ;
  • Le fait de ne pas accorder de titres-restaurant aux télétravailleurs ne prive pas nécessairement ces derniers des avantages légaux et conventionnels bénéficiant aux autres salariés.

 

Il convient néanmoins d’adopter une certaine prudence au sujet de cette décision de la juridiction nanterrienne. Au vu de la contradiction entre celle-ci
et celle du Tribunal judiciaire de Paris, il est nécessaire d’attendre la position des Cours d’appel et, le cas échéant, de la Cour de cassation.

 


Conclusion : les acteurs du monde du travail au cœur des évolutions juridiques

Derrière le Code du travail et les décisions de justice, il y a des femmes et des hommes, et surtout leurs combats. Celui des salariés de l’entreprise Petit Bateau, et plus particulièrement ceux de l’établissement "Murard", a commencé en décembre 2016 avec la fermeture de la cantine installée sur le site.

Vincent Germain et Jean-Baptiste Couturier, porte-voix des acteurs majeurs de ce combat, nous ont offert un précieux retour. Leur interview a permis de dresser l’historique d’une lutte sociale et judiciaire pour l’attribution de titres-restaurant. Au-delà, grâce au point de vue de deux de ceux qui incarnent ce combat, nous avons vu que les enjeux, pour tous les salariés de Petit Bateau, sont encore bien plus vastes.

Ainsi, il convient d’avoir à l’esprit que le droit du travail, dont certaines règles ont été rappelées, est aussi créé par ceux qui sont le visage, justement, du travail en France.

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