Les arrêts du 13 septembre 2023 relatifs au droit à congés payés des salariés en arrêt de travail pour maladie ou accident du travail ont chamboulé le droit du travail français. Ils sont une victoire pour ces salariés dont le droit au repos est désormais pleinement reconnu par la Cour de cassation.
Article extrait de Décodage n°31 | Janvier 2024, écrit en collaboration avec Jordan Poulet et Me Caroline Substelny.
La reconnaissance des droits à congés payés des salariés en arrêt de travail pour maladie et accident du travail
Dans plusieurs arrêts en date du 13 septembre 2023, la Cour de cassation a remis en cause la législation française relative au droit à congés payés des salariés en arrêt de travail pour maladie (professionnelle ou non professionnelle) et accident du travail.
En droit du travail français, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur[1]. Les périodes pendant lesquelles le salarié est en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle ne sont pas considérées comme périodes de travail effectif. En revanche, les périodes pendant lesquelles le contrat de travail du salarié est suspendu pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle sont considérées comme périodes de travail effectif, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an[2].
En septembre 2023, la Cour s’est alignée sur le droit de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui affirment, de longue date, que le droit à congés payés bénéficie à tous les travailleurs[3].
Dans un premier temps, la Cour de cassation affirme que les salariés en arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle acquièrent des droits à congé payé (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340).
Dans un second temps, la Cour de cassation affirme que les salariés en arrêt de travail pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle acquièrent des droits à congés payés, quelle que soit la durée de leur arrêt. La période d’acquisition des droits à congés payés ne peut pas être limitée à une durée ininterrompue d'un an (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.638).
Dans un troisième temps, la Cour de cassation affirme que l’employeur doit prendre des mesures afin d’assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé. En cas de contestation, l’employeur doit justifier qu'il a accompli les diligences qui lui incombaient légalement[4].
Le point de départ du délai de prescription de l'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris[5]. Néanmoins, si l’employeur n’a pas accompli les diligences qui lui incombaient légalement afin d'assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, alors le délai de prescription n’a pas de point de départ et donc ne court pas (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-10.529).
Les diligences correspondent aux mesures que l’employeur doit mettre en œuvre pour permettre aux salariés de prendre effectivement leurs congés payés[6]. L’employeur doit alors :
- Informer les salariés sur leurs droits à congés payés. À ce titre, l’employeur a l’obligation d’informer les salariés de la période de prise des congés, au moins 2 mois avant l'ouverture de celle-ci[7]. Par ailleurs, il doit communiquer à chaque salarié par tous moyens, la date de leurs congés, au moins 1 mois avant leur départ[8].
- Inciter les salariés à prendre leurs congés payés.
- Prendre les mesures propres à assurer aux salariés la possibilité d'exercer effectivement leur droit à congé.
En conclusion, aux termes de ces arrêts de la Cour de cassation :
|
Les salariés concernés par des arrêts de travail avant le 13 septembre 2023 peuvent-ils réclamer les congés payés qu’ils n’ont pas été en mesure de prendre ?
La réponse est oui, car la jurisprudence est rétroactive. Elle s’applique aux situations survenues avant le 13 septembre 2023 (date de publication des arrêts de la Cour de cassation).
Les droits pouvant être réclamés diffèrent selon que le salarié est toujours en poste ou si son contrat de travail a été rompu :
- Dans le premier cas, le contrat de travail étant en cours, il pourra obtenir la reconnaissance de ses droits à congés payés acquis non pris. Il devra ensuite être mis en mesure par son employeur de les prendre (il est possible de les échelonner sur plusieurs périodes de prises de congés payés). En effet, le salarié doit impérativement bénéficier d’une prise de congés payés, la loi n’autorisant aucunement que lui soit versée une indemnité financière à la place.
- Dans le second cas, le salarié ne pouvant plus prendre ses congés payés, il devra lui être alloué une indemnité compensatrice de congés payés[9].
Dans ses arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation se fonde sur l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce texte est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Par conséquent, les salariés n’ayant pas été mis en mesure de prendre leurs congés payés, peuvent réclamer leurs droits à congés payés jusqu’au 1er décembre 2009. Dans une telle situation, le délai de prescription n’a pas commencé à courir.
Bien entendu, les employeurs vont tenter, dans le cadre des prochaines procédures judiciaires, d’obtenir un infléchissement pour que cette prescription de trois ans s’applique, à savoir :
- trois ans, à compter de l’expiration de la période légale ou conventionnelle de prise des congés payés, pour les salariés en poste chez l’employeur redevable des congés ;
- trois ans, à compter de la date de la rupture de leur contrat de travail, pour les salariés dont le contrat de travail a été rompu.
Les congés payés non pris sont-ils automatiquement reportés ?
À la suite des arrêts du 13 septembre 2023, se pose la question de leur impact pour les salariés en arrêt de travail de longue durée ou étant à ce jour toujours en arrêt de travail :
- Quel est le point de départ de la prise des congés payés ?
- Quelles sont les modalités de report des congés payés ?
Le report des congés payés non pris est admis par la loi française dans les situations suivantes :
- congé de maternité ou d'adoption (art. L. 3141-2 du Code du travail) ;
- congé de présence parentale (art. L. 1225‑65 du Code du travail) ;
- congé de paternité et d'accueil de l'enfant (art. L. 1225‑35‑2 du Code du travail) ;
- congé parental d'éducation (art. L. 1225‑54 du Code du travail) ;
- congé de solidarité familiale (article L. 3142-12 du Code du travail) ;
- congés payés en cas :
- d’annualisation du temps de travail prévu par accord collectif (art. L. 3141-22 du Code du travail) ;
- d’usage ;
- de dispositions conventionnelles plus favorables, en ce sens (Cass. soc., 13 janvier 1998, n° 95-40.226) ;
- d’accord des parties (Cass. soc., 9 janv. 2013, n° 11-21.758 ; Cass. soc., 9 juill. 2015, n° 14-10.051).
La législation française a récemment été modifiée afin que les salariés en congé de paternité et d'accueil de l'enfant, en congé de présence parentale et en congé parental d'éducation conservent les congés payés acquis pendant la suspension de leur contrat de travail (nouveaux art. L. 1225‑54, L. 1225‑65 et L. 1225‑35‑2). Cela signifie que ces salariés bénéficient d’un droit au report de leurs congés payés, à l’issue de ces congés spéciaux, et donc là encore, après la reprise du travail.
La Cour de cassation a, quant à elle, affirmé dans un des arrêts du 13 septembre 2023 (Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-14.043) que lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année de référence en raison de l'exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail.
Dans une situation où le salarié en arrêt de travail (pour maladie ou accident du travail) n’a pas été en mesure de prendre ses congés payés précédemment acquis, la question du report est donc essentielle.
À ce titre, lorsque le salarié ne peut pas prendre ses congés payés (légaux ou conventionnels), ils doivent être reportés après la date de reprise du travail (CJCE 20 janv. 2009, n° C-350/06 ; Cass. soc., 24 février 2009, n° 07-44.488).
Pour la CJUE, le report des congés payés peut être limité par la loi ou une pratique nationale
Un arrêt de la CJUE (CJUE, 9 novembre 2023, aff. C-271/22 à C-275/22, "Keolis Agen") confirme cette position, mais apporte également des éléments sur la manière dont le report peut être limité dans le temps et donc, que les congés payés acquis soient perdus.
La CJUE était chargée de répondre à 3 questions :
- L’article 7 de la directive du 4 novembre 2003 est-il directement applicable à un litige entre un employeur et ses salariés ?
La CJUE considère que le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’Union européenne et toute disposition nationale contraire doit être écartée. L’article 7 de la directive du 4 novembre 2003 est donc bien applicable, directement, à un litige entre un employeur et ses salariés.
- La deuxième question est liée au délai de report des droits aux congés payés acquis pendant un arrêt maladie. En l’absence de réponse fournie par le Code du travail français, quel délai raisonnable de report pourrait être appliqué pour une période de référence d’un an ?
La CJUE estime qu’il appartient à la France de fixer un délai de report des congés payés non pris à la fin d’une période de référence. Elle s’abstient donc de définir la notion de report raisonnable.
- Un délai de report illimité, en l’absence de réglementation nationale sur le sujet, est-il conforme au droit de l’Union européenne ?
La CJUE estime qu’un report illimité ne correspond pas à l’esprit du principe fondamental de droit à congé annuel payé (à savoir compenser des périodes de travail par des périodes de repos). Ainsi, cela contreviendrait au droit européen.
Un État peut donc tout à fait limiter le report des congés payés.
Le salarié dont le droit au congé payé est perdu en raison de la fin du délai de report doit néanmoins avoir été en mesure d’exercer ce droit.
Pour la CJUE, le report de congés payés acquis pendant un arrêt maladie peut être limité par la législation nationale. Si elle ne le fait pas, alors une pratique nationale peut très bien limiter ce report.
En France, la loi ne prévoit aucun délai de report. Le Code du travail ne prévoit le report que dans le cadre des accords collectifs relatifs à l'annualisation du temps de travail. Cependant, rien ne s’oppose à ce qu’une convention collective ou un accord collectif puisse fixer une telle limitation.
En d'autres termes, une convention ou un accord collectif peut stipuler que le salarié, à la fin d'une période de report, ne peut plus prendre ses congés précédemment acquis.
Dans tous les cas, la période de report doit être supérieure à la période de prise des congés (autrement dit, supérieure à une durée de 12 mois). Cela explique qu'une période de report de 15 mois a été jugée conforme (CJUE, 22 novembre 2011, aff. C-214/10, "KHS AG contre Winfried Schulte"), contrairement à une période de 9 mois (CJUE, 3 mai 2012, aff. C-337/10, "Neidel").
En l’état du droit français, si la convention applicable dans l’entreprise ne prévoit pas de période de report des congés payés (qui seraient donc perdus à son issue), les droits à congés payés acquis durant les périodes d’arrêt maladie sont reportables sans limite.
Les congés payés ne seraient perdus que si, à la reprise du poste, l’employeur a mis le salarié en mesure de les prendre (sur une période de prise de congés payés et sur une période de report d’au moins 15 mois), quand bien même le salarié ne les aurait pas pris.
Le législateur annonce l’adoption d’une loi au premier trimestre 2024. Il est probable qu’il fixe une limite au droit au report des congés payés acquis durant la maladie (à ce jour illimité). L’ambition du législateur serait que ceux-ci ne se cumulent pas (et soient donc perdus) même si le salarié n’a pas pu les prendre car en arrêt maladie de longue durée (ce que permet la CJUE aux termes de son arrêt du 8 novembre 2023).
Que retenir des décisions récentes en matière de congés payés ?
Les salariés en arrêt de travail (pour cause de maladie ou accident du travail) peuvent réclamer leurs congés payés jusqu’au 1er décembre 2009 si :
- ils n’ont pas été informés de leur droit à congé payé acquis durant leur période de maladie ;
- ils n’ont pas été incités à prendre leurs congés payés ;
- ils n’ont pas été mis en capacité d’exercer leur droit à congé payé.
Ces conditions sont cumulatives.
Le fait que la convention collective, à laquelle les salariés sont soumis, prévoit ou non, un délai de report, n’a aucune incidence si ces conditions cumulatives n’ont pas été satisfaites.
Une telle situation concerne :
- les salariés dont l’employeur n’a pas mis en œuvre les mesures pour permettre aux salariés qu’ils prennent effectivement leurs congés payés ;
- les salariés dont l’acquisition de congés payés pendant la suspension de leur contrat de travail (pour cause de maladie ou d’accident du travail) n’a pas été reconnue ou a été limitée en raison de la non-conformité de la législation française avec la législation européenne.
Les salariés ne peuvent pas réclamer leurs congés payés si :
- ils ont été informés de leur droit à congé payé ;
- ils ont été incités à prendre leurs congés payés ;
- ils ont été mis en capacité d’exercer leur droit à congé payé ;
- ils sont soumis à une convention collective qui prévoit un délai de report.
Dans ces conditions en effet, leur droit à congé payé s’est éteint à l’issue de ce délai de report (à condition toutefois qu’ils aient été informés de leurs droits à congés payés acquis durant la maladie).
Cette situation concerne les salariés ayant acquis des congés payés avant la suspension de leur contrat de travail (pour cause de maladie ou accident du travail), qui sont soumis à un accord collectif prévoyant un délai de report.
Cependant, une hypothèse réclame toujours un éclaircissement. Que se passe-t-il pour les salariés actuellement en arrêt de travail de longue durée, si à la suite des arrêts du 13 septembre 2023, un accord d’entreprise vient fixer un délai de report des congés payés (dans la mesure où une convention collective n’en prévoit déjà pas un) ?
Les congés payés n’en finissent plus de susciter des débats, notamment judiciaires. Une décision de la Cour de cassation en date du 15 novembre (Cass. soc., 15 novembre 2023, n° 23-14.806) vient confirmer cela.
La décision du 15 novembre 2023 : la non-conformité à la constitution comme dernier acte avant l’intervention de l’État ?
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur l’acquisition des droits à congés payés d’une salariée en arrêt de travail pour maladie. Ces questions portent sur la différence de traitement qu’impose l’article L. 3141-5 du Code du travail :
- Pourquoi un salarié malade pour raison non professionnelle n’aurait-il pas les mêmes droits au repos et aux loisirs qu’un salarié malade pour raison professionnelle ?
- Qu’est-ce qui justifie qu’il ne puisse pas bénéficier du droit à congé annuel payé ?
Le Conseil constitutionnel devra donc se prononcer sur une éventuelle rupture d’égalité devant la loi à cause de cette disposition du droit du travail français.
Toute non-conformité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail à la Constitution pourra justifier une abrogation de ceux-ci.
Cette initiative de la Cour de cassation vise certainement à obtenir que le droit français, en tant que tel, soit conforme au droit européen.
Mais une telle décision ne constituera pas un point final.
En effet, la CJUE, dans son arrêt du 9 novembre 2023, considère que c’est à l’État de déterminer les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé. Ce qui ne peut qu’inciter le législateur, également fortement interpellé par les employeurs afin qu’il intervienne, à légiférer.
La saga juridique des congés payés ouverte par les arrêts du 13 septembre 2023 ne sera donc pas complète sans une intervention du législateur.
En pratique, que doivent faire les salariés concernés pour réclamer leurs congés payés ?Adresser un courrier à leur employeur :
|
[1] Article L. 3141-3 du Code du travail
[2] Article L. 3141-5 du Code du travail
[3] Article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ; CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20
[4] Cass. soc., 13 juin 2012, n° 11-10.929 ; Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-18.898
[5] La période de prise des congés correspond à la période au cours de laquelle les salariés vont pouvoir prendre les jours de congé qu'ils ont acquis. Cette période peut être fixée par accord collectif ou par l'employeur. Elle doit comprendre la période courant du 1er mai au 31 octobre de chaque année.
À ne pas confondre avec la période d’acquisition des congés payés ou période de référence, qui à défaut d’accord collectif, est comprise entre le 1er juin de l’année précédente et le 31 mai de l’année en cours.
[6] Pour plus de détails, voir notre article sur les congés payés : https://www.groupe3e.fr/decodage_25
[7] Article D. 3141-5 du Code du travail
[8] Article D. 3141-6 du Code du travail
[9] L'indemnité compensatrice de congés payés est une somme d'argent versée par l'employeur à son salarié à l’occasion de la rupture de son contrat de travail. Elle correspond au nombre de jours de congés payés acquis et non pris à la date de rupture ou de fin du contrat de travail.