L’année 2023 a été particulièrement riche en décisions relatives à des faits de harcèlement moral. Parce qu’un nombre important de situations de harcèlement moral est révélateur de la pression mise sur les salariés, et de la tension parcourant le monde du travail de manière générale, il est utile de (re)mettre en relief les règles relatives à de tels faits. Cela concerne les sanctions, bien évidemment, mais également toutes les dispositions visant à prévenir le harcèlement moral et à protéger les personnes qui y sont confrontées.
Article extrait de Décodage n°35 | Mai 2024, écrit en collaboration avec Jordan Poulet
Les fondements de la protection contre le harcèlement moral au travail
Le droit français consacre la notion de harcèlement moral au travail depuis la loi de modernisation sociale (n° 2002-73) datant du 17 janvier 2002.
L’accord-cadre européen du 26 avril 2007 sur le harcèlement et la violence au travail est le socle de la sanction du harcèlement moral au travail au niveau communautaire. Son ambition était d’éradiquer les agissements fautifs au sein des entreprises européennes et de mettre en place des mécanismes permettant d’éviter de futurs cas de harcèlement.
L’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le harcèlement et la violence au travail
Cet ANI, signé le 26 mars 2010, constitue la transposition française de l’accord-cadre précédemment évoqué.
Parce qu’aucun salarié ne doit subir de harcèlement moral, l’ANI entend sensibiliser tous les acteurs de l’entreprise à ces faits et établir une politique générale de prévention et de gestion de ceux-ci. La volonté est de cibler la responsabilité de toutes les entreprises.
Le harcèlement moral au travail est constitué dès lors "qu’un ou plusieurs salariés font l’objet d’abus, de menaces et/ou d’humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail".
La violence au travail est constituée dès lors "qu’un ou plusieurs salariés sont agressés dans des circonstances liées au travail. Elle va du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire, de détruire, de l’incivilité à l’agression physique. La violence au travail peut prendre la forme d’agression verbale, d’agression comportementale, notamment sexiste, ou encore d’agression physique (…)".
L’ANI insiste donc sur le fait que le harcèlement et la violence au travail peuvent prendre différentes formes, provenir de collègues et survenir dans tout type d’environnement professionnel. De plus, le texte met en lumière la nécessaire vigilance face aux discriminations pouvant être liées à des faits de harcèlement au travail. L’ANI insiste également sur la situation particulièrement délicate des femmes face au harcèlement.
En ce qui concerne les mesures de prévention du harcèlement au travail, l’ANI oblige les entreprises à :
- Établir un document (une charte de référence, à titre d’exemple) qui explique la procédure applicable en cas de faits de harcèlement ;
- Recenser tous les problèmes de violence ou de harcèlement ;
- Considérer les propositions des représentants du personnel en matière de harcèlement et de violence au travail. Ainsi, tout refus d’une action de prévention par l’employeur doit être motivé par ce dernier ;
- Faire cesser toutes les incivilités décelées dans l’environnement de travail ;
- Former les salariés aux problématiques de violence et de harcèlement au travail.
En ce qui concerne les mesures de gestion du harcèlement au travail, l’ANI oblige les entreprises à :
- Faire suivre d’une enquête toute plainte d’un salarié pour des faits de harcèlement ;
- Établir une procédure propre pour traiter toute problématique de harcèlement ou de violence au travail ;
- Favoriser le recours à la procédure d’alerte ;
- Favoriser le recours à la médiation.
En ce qui concerne les mesures de sanction du harcèlement au travail, l’ANI oblige les entreprises à :
- Prévoir dans leur règlement intérieur les sanctions applicables à l’auteur de faits de harcèlement ou de violence au travail ;
- Prévoir des mesures d’accompagnement de la victime de tels faits, tant sur le plan psychologique que sur le plan du maintien dans l’emploi dans de bonnes conditions.
L’ANI sur le stress au travail
Il est nécessaire d’avoir à l’esprit que le stress au travail est étroitement lié aux situations de harcèlement et de violence. L’ANI sur le stress au travail du 2 juillet 2008 rappelle qu’il survient dès qu’apparaît un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.
Le stress a pour conséquence de réduire l’efficacité au travail et de faire naître (ou d’aggraver) des problèmes de santé. Le stress peut provenir de l’organisation ou du contenu du travail, de l’environnement professionnel ou encore de la communication entre les membres de l’entreprise.
L’ANI du 2 juillet 2008 préconise aux entreprises :
- De prévoir une organisation du travail qui :
- Prenne en compte les ressentis des salariés ;
- Soit cohérente au vu des objectifs de l’entreprise ;
- Favorise l’échange entre les différents acteurs ;
- De former les salariés sur la problématique du stress au travail ;
- D’améliorer l’information et de favoriser la consultation des salariés et de leurs représentants.
La définition du harcèlement moral
Les critères du harcèlement moral
Le droit du travail français condamne en ces termes les faits de harcèlement moral à l’égard d’un salarié : "(…) les agissements répétés (…) qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel" (article L. 1152-1 du Code du travail).
Le critère de la répétition
Au vu de la définition du harcèlement moral donnée par le Code du travail, il n’est pas nécessaire que le salarié ait effectivement subi un dommage en raison de tels faits pour qu’ils soient répréhensibles.
En revanche, la référence à des "agissements répétés" signifie qu’un acte isolé ne peut pas constituer du harcèlement moral, même s’il est d’une certaine gravité.
Les agissements, qu’ils s’agissent de sanctions injustifiées (Cass.Soc., 22/03/2007, n° 04-48.308) ou de reproches infondés (Cass.Soc., 08/07/2009, n° 08-41.638) doivent se succéder, même sur une période relativement longue. Cela est notamment le cas si cette période est de 2 ans (Cass.Soc., 25/09/2012, n° 11-17.987).
Le critère de l’atteinte aux droits et la dignité, à la santé ou à l’avenir professionnel
Toujours selon l’article L. 1152-1 du Code du travail, il n’est pas nécessaire que les agissements entraînant une dégradation des conditions de travail portent atteinte, cumulativement, aux droits et à la dignité, à la santé et à l’avenir professionnel du salarié (Cass.Soc., 10/03/2010, n° 08-44.393).
Les atteintes aux droits et à la dignité correspondent à des paroles et à des actes qui sont inappropriés au vu du lien de subordination unissant l’employeur et le salarié.
Concrètement, il peut s’agir de brimades, de mesures vexatoires ou tout autre type de propos ou d’actions inutilement blessantes et humiliantes (Cass.Soc., 25/09/2007, n° 06-84.599).
Les atteintes à la santé et à l’avenir professionnel sont constituées dès lors qu’il s’agit d’agissements qui ont empêché le salarié d’exercer ses fonctions dans de bonnes conditions. Cela est notamment le cas s’ils ont entraîné une interruption de l’activité du salarié (Cass.Soc., 06/02/2007, n° 06-82.601).
Pour que des faits de harcèlement moral soient reconnus en justice, il n’est pas nécessaire de prouver l’intention de nuire de la part de l’employeur. Un tel harcèlement survient même si l’employeur a agi de manière irréfléchie et qu’il reconnaît ses erreurs par la suite (Cass.Soc., 06/01/2011, n° 08-43.279).
L’employeur ne peut en aucun cas se justifier en invoquant des modes de gestion du personnel si, cumulativement :
- Ses agissements remplissent les conditions pour être qualifiés de faits de harcèlement moral ;
- S’ils sont dirigés contre un salarié en particulier.
Si ces deux conditions sont remplies, une forme de harcèlement particulière, dite "managériale", est caractérisée. Sa reconnaissance s’explique par la nécessité de sanctionner des faits de harcèlement moral déguisés en méthodes de management "particulières" (Cass.Soc., 21/05/2014, n° 13-16.341).
Le cadre du harcèlement moral
La nécessité d’une relation de nature professionnelle
Le harcèlement moral au travail suppose que les faits se soient déroulés, au moins partiellement, au sein de l’entreprise ou du milieu professionnel (Cass.Soc., 11/01/2012, n° 10-12.930).
Le harcèlement moral au travail peut être imputé à l’employeur, mais également à son représentant, à un supérieur hiérarchique ou à un collègue.
Il suffit donc qu’une relation de travail existe entre la victime et l’auteur des faits (Cass.Crim., 13/12/2016, n° 16-81.253).
La protection contre le harcèlement moral
La protection contre les faits de harcèlement moral s’applique à tous les salariés du secteur privé, de même qu’aux stagiaires, aux apprentis et à toute personne candidate à l’embauche, à un stage ou à une formation. La nature du contrat n’a donc aucune incidence.
Cette protection concerne également :
- Les employés de maison (article L. 7221-2 du Code du travail) ;
- Les concierges et employés d’immeubles à usage d’habitation (article L. 7211-3 du Code du travail) ;
- Les assistants maternels (article L. 423-2 du Code de l’action sociale et des familles) ;
- Les fonctionnaires et agents publics non titulaires (Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 6 quinquies).
La protection contre le harcèlement moral concerne les victimes, mais également les personnes ayant refusé de le subir, les témoins de tels faits et ceux les ayant dénoncés.
Autrement dit, tous ces individus ne peuvent pas être licenciés, sanctionnés ou discriminés en raison de leur position face au harcèlement moral (article L. 1152-2 du Code du travail).
Ainsi, seule l’hypothèse d’une dénonciation de mauvaise foi, par un salarié, de faits de harcèlement peut justifier la prise de mesures contre ce dernier (Cass.Soc., 25/09/2019, n° 17-27.094).
Autrement dit, un salarié ne peut pas dénoncer de tels faits s’il sait pertinemment qu’ils sont faux (Cass.Soc., 19/10/2022, n° 21-16.361).
La dénonciation de mauvaise foi peut même aboutir à un licenciement pour faute grave du salarié fautif (Cass.Soc., 28/01/2015, n° 13-22.378).
Une faute lourde peut même lui être imputée s’il a dévoilé publiquement des faits non avérés de harcèlement moral dans le but de nuire à son employeur (Cass.Soc., 05/07/2018, n° 17-17.485).
Le cas particulier du lanceur d’alerte
Toute personne, salariée ou non, victime ou non, qui dénonce des faits de harcèlement moral bénéficie de la protection des lanceurs d’alerte contre d’éventuelles mesures de représailles de la part de l’employeur (Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte[1]).
Précisément, comme toute personne ayant subi ou refusé de subir des faits de harcèlement moral, elle ne peut pas (article L. 1152-2 du Code du travail) :
- Être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ;
- Être sanctionnée ou licenciée ;
- Faire l’objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat ;
- Faire l’objet de toutes les autres mesures prévues au II de l’article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Dans le cadre d’un recours contre une mesure de représailles, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer qu’il a réalisé son signalement dans le respect des conditions propres au lanceur d’alerte.
Concrètement, cela veut dire que le signalement opéré par le lanceur d’alerte doit reposer sur un motif raisonnable de croire qu’il a permis de sauvegarder les intérêts en cause.
Si tel est le cas, le lanceur d’alerte bénéficie d’une irresponsabilité civile et pénale (article 122-9 du Code pénal) quant aux dommages causés par le signalement. Cela est prévu par l’article 10-1 de la loi du 9 décembre 2016 précitée.
L’employeur doit, en réponse, démontrer que sa décision est justifiée et ne constitue pas une mesure de représailles.
Le juge établit sa position en fonction des arguments de l’un et de l’autre (article 10-1 de la loi du 9 décembre 2016).
Cette loi de 2016 prévoit également les différentes peines applicables :
- La protection des lanceurs d’alerte a pour conséquence de faire encourir une peine d’1 an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende pour toute personne qui fait obstacle à la transmission d’un signalement (article 13). En outre, cette personne encourt la peine complémentaire d’affichage (ou de diffusion) de la décision mentionnée précédemment (article 10) ;
- Si l’employeur se rend coupable d’une mesure de représailles suite à un signalement d’une alerte pour harcèlement moral, le salarié concerné peut saisir le Conseil de prud’hommes ;
- Ce dernier peut, en toute hypothèse, prononcer une peine complémentaire et obliger l’employeur à abonder le compte personnel de formation (CPF) du salarié jusqu’à son plafond (article 12) ;
- En cas de signalement dilatoire ou abusif, le lanceur d’alerte encourt une amende civile de 60.000 euros (article 13) ;
- De plus, le lanceur d’alerte encourt la peine complémentaire d’affichage (ou de diffusion) de la décision mentionnée précédemment (article 13-1).
La prévention du harcèlement moral
Le rôle de l’employeur et des salariés
Le rôle de l’employeur
La prévention des faits de harcèlement moral débute dès la signature du contrat du travail puisque celui-ci est censé être exécuté de bonne foi (autrement dit de manière loyale) par chacune des parties (article L. 1222-1 du Code du travail).
Aussi, le règlement intérieur doit, notamment, rappeler les dispositions du Code du travail relatives au harcèlement moral (article L. 1321-2 du Code du travail).
L’employeur doit porter à la connaissance des salariés, des stagiaires et des apprentis le contenu de l’article 222-33-2 du Code pénal sanctionnant le harcèlement moral (article L. 1152-4 du Code du travail).
Mais surtout, l’employeur est tenu à une obligation générale de prévention qui découle de celles :
- De garantir la santé et la sécurité des salariés (article L. 4121-1 du Code du travail) ;
- De prévenir les risques professionnels (article L. 4121-2 du Code du travail) ;
- De prévenir spécifiquement les faits de harcèlement moral (article L. 1152-4 du Code du travail).
En raison de ces obligations, l’employeur doit :
- Informer et sensibiliser le personnel sur la problématique du harcèlement moral ;
- Mettre en œuvre des actions de formation et prendre des mesures visant à faciliter la détection des faits de harcèlement moral ;
- Diligenter une enquête après la dénonciation de faits de harcèlement moral, même si ces derniers ne sont pas avérés par la suite (Soc., 27/11/2019, n° 18-10.551) ;
- Agir pour mettre fin à des situations effectives de harcèlement moral dès qu’il a eu connaissance de faits qui laissaient supposer l’existence d’un tel harcèlement. À ce titre, l’employeur sanctionne l’auteur des faits de harcèlement (Soc., 03/02/2010, n° 08-40.144) et procède à une réorganisation pour protéger la victime. Il peut s’agir de muter cette dernière ou encore de passer le harceleur d’un travail de nuit à un travail de jour (Cass.Soc., 19/01/2012, n° 10-20.935).
Le rôle des salariés
Tout salarié doit également respecter une obligation de sécurité l’incitant à prendre soin de la santé des personnes concernées par ses actes au travail (article L. 4122-1 du Code du travail).
Ainsi, un salarié auteur de faits de harcèlement moral sur un collègue peut être obligé de payer à ce dernier des dommages et intérêts (Cass.Soc., 21/06/2006, n° 05-43.914).
Tout salarié peut alerter l’employeur sur une situation de travail et se retirer de celle-ci s’il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie et sa santé (article L. 4131-1 du Code du travail).
Le harcèlement est de nature à constituer un danger grave et imminent pour la santé d’un salarié et peut justifier un motif raisonnable pour se retirer (CA Riom., 18/06/2002, n° 01/00919).
Attention cependant, le législateur n’a pas expressément consacré l’hypothèse d’un droit de retrait en cas de harcèlement moral. La notion de "motif raisonnable" suppose que chaque situation est librement appréciée par le juge.
Le rôle du CSE
Celui-ci est essentiel dans la prévention du harcèlement moral.
Le CSE peut proposer des actions (que l’employeur pourra refuser à condition de motiver sa décision) pour prévenir effectivement de tels faits (article L. 2312-9 du Code du travail).
Le CSE procède également à des inspections et à des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies en lien avec le travail. Il peut requérir l’avis de toute personne de l’entreprise qu’il juge qualifiée (articles L. 2312-5 et L. 2312-13 du Code du travail).
Il peut aussi faire appel à un expert agréé en cas de risque grave, identifié et actuel constaté au sein de l’entreprise (article L. 2315-94 du Code du travail). Cela permet aux représentants du personnel de disposer de prérogatives renforcées pour faire le lien entre conditions de travail et atteinte à la santé des salariés.
Toute atteinte résultant de faits de harcèlement moral peut faire l’objet d’une alerte (émise par un membre du CSE) à destination de l’employeur. Ce dernier doit alors immédiatement réaliser une enquête (avec le membre du CSE à l’origine de l’alerte) et prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser la situation.
Si le salarié victime n’est pas satisfait de l’engagement de l’employeur, il peut saisir le Conseil de prud’hommes. Celui-ci peut ordonner toute mesure (sous astreinte ou non) dans le but de mettre fin aux agissements litigieux. Il juge alors en urgence, selon la procédure accélérée au fond.
Si le salarié victime est averti par écrit et qu’il ne s’oppose pas à la démarche, le membre du CSE à l’origine de l’alerte peut lui-même saisir le Conseil de prud’hommes (article L. 2312-59 du Code du travail).
Enfin, le CSE est consulté sur le règlement intérieur de l’entreprise. Ce dernier doit rappeler les dispositions du Code du travail relatives au harcèlement moral (article L. 1321-4 du Code du travail).
Le rôle d’autres acteurs
La prévention du harcèlement moral incombe également au médecin du travail. En effet, il lui revient, notamment, de conseiller l’employeur et les salariés (ainsi que leurs représentants) sur les mesures devant être prises pour éviter la survenance de tels faits (article L. 4622-2 du Code du travail).
L’inspecteur du travail, quant à lui, peut faire modifier un règlement intérieur qui n’informerait pas les salariés des dispositions relatives au harcèlement moral. Aussi, il veille à l’application effective de ces dispositions et constate les infractions commises au sein de l’entreprise (article L. 8112-2 du Code du travail).
La victime (ou l’auteur) présumée de faits de harcèlement moral peut engager une procédure de médiation, afin qu’une tierce personne tente de favoriser le règlement amiable de la situation (article L. 1152-6 du Code du travail).
Le Défenseur des Droits peut émettre des recommandations (visant à remédier à la situation) à destination d’un employeur si des faits de harcèlement surviennent dans un contexte de discrimination (CE., 13/07/2017, n° 294195).
La sanction du harcèlement moral
Les sanctions disciplinaires à l’encontre de l’auteur des faits de harcèlement moral
L’employeur informé de faits présumés de harcèlement moral doit immédiatement diligenter une enquête afin que ceux-ci soient confirmés ou infirmés (Cass.Soc., 27/11/2019, n° 18-10.551). Il est nécessaire que l’employeur utilise tous les moyens possibles pour réaliser une enquête approfondie (Cass.Soc., 29/06/2022, n° 21-11.437).
En vertu de l’exécution de bonne foi du contrat de travail et de son obligation de sécurité, l’employeur doit sanctionner disciplinairement (par toute mesure) le salarié ayant commis des faits de harcèlement moral (article L. 1152-5 du Code du travail).
L’ancienneté du salarié harceleur ne légitime en aucun cas de tels faits (Cass.Soc., 07/06/2011, n° 09-43.113). L’employeur qui décide de sanctionner un salarié pour des faits de harcèlement doit prouver les agissements (Cass.Soc., 07/02/2012, n° 10-17.393). Ceux-ci doivent être rattachés à la vie de l’entreprise (Cass.Soc., 25/09/2019, n° 17-31.171).
L’employeur a 2 mois, à partir du moment où il a eu connaissance des faits de harcèlement, pour sanctionner disciplinairement le salarié fautif (sauf si des poursuites pénales ont été engagées dans le même délai) (article L. 1332-4 du Code du travail).
La nullité des actes révélant du harcèlement moral
La nullité est encourue pour tout acte ou rupture du contrat du travail qui cache des faits de harcèlement moral (article L. 1152-3 du Code du travail).
La nullité du licenciement suppose l’existence d’un lien réel entre ce dernier et les faits de harcèlement moral (Cass.Soc., 12/01/2022, n° 20-14.024).
En cas de licenciement, le salarié peut être indemnisé en raison de la nullité de celui-ci ou bien demander sa réintégration au sein de l’entreprise.
Comme cela a été évoqué, l’indemnité due à cause de la nullité du licenciement est cumulable avec l’indemnité qui répare le préjudice subi du fait du harcèlement (Cass.Soc., 01/06/2023, n° 21-23.438).
Tout licenciement pour inaptitude est nul si celle-ci est due à des faits de harcèlement moral subis par le salarié concerné (Cass.Soc., 30/06/2016, n° 15-15.774).
Cela a été évoqué, la nullité du licenciement pour cause de harcèlement moral ne requiert pas que le salarié qualifie lui-même les faits de "harcèlement moral" (Cass.Soc., 19/04/2023, n° 21-21.053).
La rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié victime de harcèlement moral
En cas de harcèlement, la résiliation judiciaire (autrement dit, la demande du salarié, au Conseil de prud’hommes, de mettre fin à son contrat de travail) produit les effets d’un licenciement nul. En d’autres termes, le salarié pourra bénéficier des indemnités afférentes (Cass.Soc., 20/02/2013, n° 11-26.560).
La prise d’acte (autrement dit, la rupture immédiate et unilatérale du contrat de travail par le salarié en raison de faits suffisamment graves) est justifiable en cas de harcèlement. Dans ce cas, cela produira les effets d’un licenciement nul (Cass.Soc., 08/07/2015, n° 14-13.324).
Une rupture conventionnelle est toujours valable dans un contexte de harcèlement moral, mais uniquement si le consentement du salarié n’est pas vicié (autrement dit, s’il n’est pas "forcé" par les faits de harcèlement moral) (Cass.Soc., 30/01/2013, n° 11-22.332).
Si le consentement du salarié est vicié, la rupture conventionnelle est annulée et les effets produits sont ceux d’un licenciement nul (Cass.Soc., 29/01/2020, n° 18-24.296).
Le contentieux du harcèlement moral
L’action civile
Les faits de harcèlement relèvent de la compétence du Conseil de prud’hommes (article L. 1411-1 du Code du travail).
Cela est également valable dans l’hypothèse d’un licenciement d’un salarié protégé (et même s’il a préalablement été autorisé par l’administration du travail) (Cass.Soc., 01/06/2023, n° 21-19.649).
Un salarié victime de harcèlement moral peut autoriser par écrit les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise à agir en justice pour de tels faits. À tout moment, le salarié concerné peut intervenir dans cette action ou y mettre fin (article L. 1154-2 du Code du travail).
Le délai de prescription des actions en réponse au harcèlement moral est de 5 ans à compter du moment où la personne qui intente l’action a connaissance (ou aurait dû l’avoir) de ces faits (article 2224 du Code civil).
En d’autres termes, le délai de prescription commence à courir dès que survient le dernier fait de harcèlement moral (Cass.Soc., 09/06/2021, n° 19-21.931).
Les ayants droit d’un salarié décédé pendant l’exécution de son contrat de travail peuvent faire une demande d’indemnisation au titre du préjudice subi par ce dernier. Cela est possible même si le salarié décédé n’a pas intenté d’action de son vivant (Cass.Soc., 12/02/2014, n° 12-28.571).
La preuve du harcèlement moral
La charge de la preuve du harcèlement moral suit la logique suivante (article L. 1154-1 du Code du travail) :
- Le salarié qui prétend être victime de harcèlement moral doit présenter des éléments de fait laissant supposer qu’un tel harcèlement existe. Ils doivent être précis et concordants (Soc., 09/10/2013, n° 12-22.288) ;
- Le juge prend en compte tous ces éléments de fait et peut estimer que le harcèlement est présumé. Il ne doit donc pas se baser sur quelques éléments pris séparément (Soc., 04/11/2021, n° 19-25.676). Il ne peut pas non plus refuser de prendre en compte des certificats médicaux (Cass.Soc., 09/12/2020, n° 19-13.470) ou des attestations de témoins qui ne font pas partie de l’entreprise (Cass.Soc., 10/05/2012, n° 10-28.346) ;
- Si le harcèlement est présumé, c’est à l’employeur de prouver qu’il n’a pas commis de tels faits. Autrement dit, il doit démontrer qu’ils sont explicables par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement (Soc., 17/11/2010, n° 09-42.282) ;
- Le juge prend position en fonction des éléments apportés par le salarié et l’employeur (et après avoir, le cas échéant, ordonné toute mesure d’instruction jugée utile).
La Cour de cassation ne contrôle pas l’appréciation, par les juges prud’homaux, des éléments apportés par le salarié et l’employeur (Cass.Soc., 09/12/2020, n° 19-13.470).
Il convient également de présenter les différents modes de preuve admis dans le cadre d’un procès pour des faits de harcèlement moral intenté devant le Conseil de prud’hommes.
Les SMS constituent une preuve de harcèlement recevable, tout comme les attestations de salariés ou de personnes extérieures, ainsi que les enquêtes et les sanctions disciplinaires prononcées.
Les courriers électroniques constituent une preuve recevable uniquement si leur authenticité est avérée (Cass.Soc., 22/03/2011, n° 09-43.307).
En revanche, une conversation téléphonique enregistrée à l’insu de son auteur ne constitue pas une preuve recevable (Cass.Soc., 23/05/2007, n° 06-43.209).
En effet, si tous les éléments de preuve sont admissibles dans le cadre d’un procès prud’homal, il est nécessaire que ceux-ci soient obtenus de manière licite et loyale.
L’indemnisation du salarié victime de harcèlement moral
Le salarié victime de harcèlement peut demander la réparation du préjudice moral qu’il a subi auprès de son employeur, de l’auteur des faits (s’il ne s’agit pas de l’employeur) ou bien des deux. Cette demande peut être faite même si le salarié a sollicité sa réintégration (Cass.Soc., 19/05/1993, n° 91-44.277).
L’octroi de dommages et intérêts pour cause de préjudice moral est bien distinct de l’octroi de dommages et intérêts pour cause de nullité du licenciement. Les deux réparations sont cumulables (Cass.Soc., 01/06/2023, n° 21-23.438).
Le manquement à l’obligation de prévention du harcèlement prévue par l’article L. 1152-4 du Code du travail peut également justifier une réparation supplémentaire. Cependant, il est nécessaire que le préjudice soit bien distinct des autres (Cass.Soc., 17/05/2017, n° 15-19.300).
Une indemnisation spécifique au titre d’une discrimination peut également s’ajouter, s’il existe bien un préjudice distinct reposant sur des pratiques discriminatoires.
Les faits peuvent être les mêmes : il est possible que les mêmes éléments constituent des faits de harcèlement moral et des pratiques discriminatoires. Mais, il est impératif que ces faits répondent aux conditions posées par l’article L. 1132-1 du Code du travail pour être qualifiés de discriminatoires.
Une indemnisation particulière peut également être octroyée si un contrat à durée déterminée (CDD) a été rompu de manière anticipée en raison de faits de harcèlement imputables à l’employeur. Dans ces conditions, le salarié peut demander le paiement des salaires jusqu’à la fin du CDD (Cass.Soc., 28/02/1996, n° 92-42.836).
Pôle Emploi peut décider d’accorder à un salarié ayant démissionné à cause de faits de harcèlement le versement d’allocations de chômage.
La tentative de suicide réalisée en conséquence de faits de harcèlement au travail peut être prise en charge au titre de la règlementation relative aux accidents du travail.
Concrètement, cela veut dire que l’employeur devra reclasser le salarié concerné ou, à défaut, lui verser des indemnités spécifiques (notamment une indemnité équivalente au double de l’indemnité légale de licenciement) (articles L. 452-2 à L. 452-4 du Code de la Sécurité sociale).
La prise en charge au titre des accidents du travail est bien cumulable avec les dommages et intérêts perçus au titre du harcèlement moral (Cass.Soc., 04/09/2019, n° 18-17.329).
L’action pénale
Une action devant les juridictions pénales peut être intentée par la victime ou le ministère public (articles 40 et suivants du Code de procédure pénale).
L’action pénale doit être directement dirigée contre l’auteur des faits de harcèlement (article 121-1 du Code pénal).
Le délai de prescription du délit de harcèlement moral est de 6 ans, à partir du dernier fait de harcèlement commis (Cass.Crim., 19/06/2019, n° 18-85.725).
Les délais de prescription de l’action civile et de l’action pénale étant différents, il convient donc d’être particulièrement vigilant au moment de les intenter.
Les règles relatives à la charge de la preuve dans le cadre d’un contentieux devant le Conseil de prud’hommes (prévues par l’article L. 1154-1 du Code du travail) ne sont pas applicables au procès pénal.
En d’autres termes, c’est à la victime (ou au ministère public) de rapporter la preuve de harcèlement moral. En vertu du principe de présomption d’innocence, un tel harcèlement n’est pas présumé dans le cadre d’un procès pénal.
Les modes de preuve diffèrent également selon l’hypothèse d’un procès prud’homal ou d’un procès pénal.
En effet, le principe de légalité et de loyauté de la preuve applicable au procès prud’homal n’est pas appliqué aussi strictement au cours d’un procès pénal. Tout mode de preuve peut en principe y être admis (article 427 du Code de procédure pénale).
Cela veut dire que le juge pénal ne peut pas écarter un mode de preuve sous prétexte qu’il a été obtenu de façon illicite ou déloyale. Il doit apprécier cette preuve au vu du contexte de l’affaire (Cass.Crim., 27/01/2010, n° 09-83.395).
L’enregistrement clandestin est donc un mode de preuve admissible dans le cadre d’un procès pénal (Cass.Crim., 31/01/2012, n° 11-85.464).
En revanche, il convient d’être particulièrement prudent : même si toutes les preuves ne sont pas écartées pendant un procès pénal, cela ne veut pas dire que le juge doit obligatoirement estimer qu’elles révèlent un harcèlement moral. Il doit simplement les prendre en considération. Ainsi, une preuve obtenue de façon illicite ou déloyale peut desservir celui qui l’invoque.
Le Code pénal punit les faits de harcèlement moral au travail de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende (article 222-33-2 du Code pénal).
Les éventuelles discriminations liées à des faits de harcèlement moral sont punies de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende (articles 225-1 et 225-2 du Code pénal).
Les faits de harcèlement moral peuvent justifier les sanctions applicables en cas d’atteinte à la dignité de la personne. En d’autres termes, cela vise l’employeur qui soumet un salarié qu’il harcèle (et qu’il place donc dans une situation de vulnérabilité ou de dépendance qu’il ne peut ignorer) à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine.
Dans ces conditions, l’employeur encourt une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende (article 225-14 du Code pénal ; Cass.Crim., 23/04/2003, n° 02-82.971).
Tableau récapitulatif des conditions et des modalités d’action en justice contre le harcèlement moral
TYPE D’ACTION EN JUSTICE |
ACTION CIVILE |
ACTION PENALE |
DELAI DE PRESCRIPTION |
5 ans (à compter du moment où la personne qui intente l’action a connaissance des faits de harcèlement moral |
6 ans (à compter du dernier fait de harcèlement commis) |
ADMISSION DES SMS COMME POSSIBLES PREUVES DU HARCELEMENT MORAL |
Oui |
Oui |
ADMISSION DES ATTESTATIONS DE TEMOINS COMME POSSIBLES PREUVES |
Oui |
Oui |
ADMISSION D’UNE ENQUETE COMME POSSIBLE PREUVE |
Oui |
Oui |
ADMISSION DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES COMME POSSIBLES PREUVES |
Oui |
Oui |
ADMISSION DES COURRIERS ELECTRONIQUES COMME POSSIBLES PREUVES |
Oui |
Oui |
ADMISSION DES ENREGISTREMENTS CLANDESTINS COMME POSSIBLES PREUVES |
Non |
Oui |
[1] Pour plus de détails, voir notre article "Lanceurs d'alerte : les apports de la loi du 21 mars 2022"