Si dans le secteur privé le recours à un expert est mieux connu et plus utilisé, ce n’est pas le cas dans la fonction publique. Nous vous proposons sur le sujet quelques éléments théoriques, juridiques, stratégiques et pratiques par des témoignages de représentants et d’experts.
Article extrait de Décodage n° 41 | Mai 2025
C’est quoi une expertise ?
Sur certains sujets complexes liés à la santé au travail notamment, les représentants du personnel n’ont parfois pas assez de compétences, de connaissances ou ne disposent pas assez d’éléments concrets de la part des responsables pour donner leurs avis, comme le prévoit la réglementation. Le président de l’instance peut alors, à son initiative ou à la suite d’une délibération des membres de la formation spécialisée, faire appel à un expert certifié.
Les conditions de ce recours à un expert sont précisées dans l’article R. 253-54 du Code général de la fonction publique créé par le décret n° 2024-1038 du 6 novembre 2024.
L’expert va alors pouvoir faire une analyse de la situation, proposer des conseils et préconisations, mais ce sera bien aux représentants du personnel d’utiliser son travail en F3SCT pour inciter l’employeur à les mettre en place. Ce ne seront plus les préconisations de l’expert mais bien celles des représentants du personnel.
Seulement deux expertises possibles
Dans la fonction publique, il n’y a que deux possibilités pour faire appel à un expert :
- En cas de risque grave, révélé ou non par un accident de service ou du travail, ou en cas de maladie professionnelle ou à caractère professionnel.
Il ne peut s'agir cependant que de situations faisant courir un réel danger pour la santé ou la sécurité des agents, par exemple :- suite à une alerte, un droit de retrait
- suite à un accident de service ou à une maladie professionnelle
- lors d’une atteinte grave à la santé d’un agent en lien avec le travail
Cette expertise n’est pas toujours facile à mettre en place d’autant qu’elle nécessite beaucoup de travail en amont.
- En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, lorsque le projet ne s’intègre pas dans un projet de réorganisation de service.
Cette expertise est très compliquée voire impossible à mettre en place ! La majorité des "projets importants modifiant les conditions de santé et sécurité ou des conditions de travail" sont justement mis en place par les responsables d’établissement sous l’angle "projet de réorganisation de service".
Si est mise au vote une demande d’expertise par les représentants liés à un point à l’ordre du jour, il y a de fortes chances que les directions supprimer ce point de l’ordre du jour, puis remis dans le cadre cette fois d’une réorganisation de service, d’où l’extrême difficulté de la faire voter.
La délibération
La préparation
Il est important de bien préparer sa demande. Un travail doit être fait en amont avec l’expert agréé pour éviter au maximum les possibilités de contestation. Il vous aidera et conseillera dans la rédaction de la délibération pour que le jour du vote soit prêt.
Un travail d’information doit fait en parallèle être réalisé avec les agents pour expliquer la démarche et l’utilité, d’autant qu’ils seront sollicités, si l’expertise à lieu.
Le choix du cabinet d’expert n’est pas anodin. Il en existe beaucoup, mais aucun n’est neutre. Il peut donc se révéler intéressant de connaître ces acteurs et leurs interventions antérieures, pour choisir celui qui serait le plus à même de travailler de manière objective.
ATTENTION ! Une procédure de marché publique ne peut pas être lancée pour une demande d’expertise. La Cour de cassation a rendu un avis très clair : Arrêt en date du 14 décembre 2011, rendu sous le numéro 10-20378 |
Si l’administration persiste, il faudra utiliser une procédure de référé et de recours devant le tribunal administratif pour la faire suspendre et puis annuler la décision en utilisant cet arrêté.
La mise au vote
Pour qu’une demande de recours à un expert soit votée, il faut un vote majoritaire favorable des membres de la F3SCT.
Ensuite, la décision revient au Président de la formation, qui doit motiver le refus le cas échéant, et doit être communiquée à la formation spécialisée.
ATTENTION ! Dans la Fonction Publique Territoriale, de nombreuses F3SCT sont paritaires (nombre égal de représentants du personnel et de représentants de l’administration). Mais pour la demande d’expertise, les membres de l’administration ne votent pas car il n’y a pas de délibération du conseil municipal sur ce point à l’ordre du jour (cf. art. R. 254-65 du Code général de la fonction publique créé par le décret n° 2024-1038 du 6 novembre 2024). |
En cas de désaccord :
- Dans la Fonction Publique d’État et Hospitalière : l’inspecteur en santé et sécurité au travail est saisi. Si le désaccord est toujours persistant, il est possible alors de saisir l’inspection du travail.
- Dans la Fonction Publique Territoriale : l’agent chargé des fonctions d’inspection est saisi. Si le désaccord est toujours persistant, il est possible alors de saisir l’inspection du travail.
Toutefois dans le contexte actuel de sous-effectif de ces services, il sera certainement très compliqué de faire venir un inspecteur du travail en F3SCT, sauf en cas de situation extrêmement grave.
Si l’employeur persiste à ne prendre aucune mesure, ou que celles-ci vous paraissent toujours insuffisantes et que le risque est encore présent, il est possible de faire un référé au tribunal administratif pour qu’un juge oblige l’employeur à les prendre. (cf. article décodage du mois de mars 2025, les référés administratifs dans les 3 fonctions publiques : approche juridique et stratégique).
Exemple de jurisprudence d’un référé pour un refus d’expertise : Tribunal administratif de Nîmes, 8 novembre 2023, 2303817
Les comités sociaux ne disposant pas de budget de fonctionnement, l’ensemble des expertises sont prises en charge à 100 % par l’employeur.
Les délais de l’expertise
Dans la Fonction Publique Hospitalière, le délai pour mener l’expertise est de 45 jours, tandis que dans la Fonction Publique d’État et Territoriale le délai n’est que d’un mois. Ce sont des délais très courts d’où l’importance de la préparation en amont avec l’expert.
Le déroulé d’une expertise
Une fois le cahier des charges établi avec l’expert, il va intervenir sur place notamment dans le cadre d’entretiens individuels ou collectifs (importance d’informer les agents avant). Il s’agit d’un travail de collaboration entre les représentants et l’expert.
Un rapport va être rédigé, il donnera son analyse et des préconisations. Ce rapport sera ensuite présenté en F3SCT. Le plus important sera que les représentants du personnel utilisent ses préconisations et surtout veillent à leur mise en place.
Pourquoi est-elle si peu utilisée ?
Parole aux représentants d’instance de la fonction publique et aux experts :
- "Contrairement au secteur privé où le Comité Social Économique dispose d’un budget propre et d’un nombre plus important d’expertises possibles, il n’existe que deux types d’expertises possibles".
- "Les accords de Bercy sur le dialogue social, repris dans la loi du 5 juillet 2010, étendaient le champ des CHSCT à toutes les fonctions publiques. Les CHSCT, et désormais les F3SCT, sont donc assez récentes dans la fonction publique. Pendant longtemps les représentants du personnel n’ont été formés que par des organismes de formation affiliés à leurs employeurs, qui ne mettaient pas forcément l’accent sur les expertises. Depuis peu des cabinets sur les questions de santé interviennent également dans la formation des représentants du personnel et dans l’accompagnement de recours à un expert. Ces expertises ne sont donc pas un réflexe pour la majorité des représentants du personnel et elles mettent du temps à s’imposer".
- "Dans la fonction publique, la réglementation permet une grande facilité pour refuser la demande. Une justification auprès de la F3SCT est suffisante, tandis que dans le secteur privé l’employeur doit saisir le tribunal pour la contester."
- "Certains représentants du personnel en F3SCT ont réussi à mettre en place une expertise, mais n’ont jamais eu les effets escomptés. L’employeur minimisant le travail de l’expert, réalisant une contre-expertise ou noyant les représentants dans des groupes de travail, ils n’ont pas pu mettre à profit tout le travail réalisé par l’expert. À la suite de cette mauvaise expérience, ils n’ont pas recommencé".
- Il n’est pas courant pour les employeurs de faire appel à des prestataires extérieurs qu’ils ne connaissent pas, et ils considèrent d’un mauvais œil les cabinets d’expertise avec en plus un mode de fonctionnement et des interlocuteurs différents du secteur privé. Tout cela complique le travail de l’expert".
- Il y a une pression importante des employeurs pour faire baisser le tarif de la prestation, mais paradoxalement l’accompagnement doit être plus important. D’où la réticence des cabinets à aller sur ce marché.
- "Dans la fonction publique, le mode de calcul pour l’octroi et le nombre d’heures de délégations pour les organisations syndicales dépend des résultats des élections aux Comités Sociaux et à la Commission Administrative Paritaire (CAP), contrairement au secteur privé où tous les élus du personnel ont un nombre d’heures équivalent. Il existe de fait une mise en concurrence des différents syndicats à chaque élection. Cette mise en concurrence voulue crée généralement des dissensions entre représentants et ne favorise pas un vote majoritaire, nécessaire pour la demande d’expertise"
Le décret permet, comme dans le secteur privé de recourir à un expert, mais dans la réalité des faits il s’avèrera très compliqué de le faire venir.
Pourtant, une expertise peut être un réel atout si elle est bien utilisée par les membres de la F3SCT ! Les problématiques de risques psychosociaux (RPS), d’accidents graves, de harcèlement, etc., dans toutes ces situations où il existe une atteinte grave sur la santé des agents, vous ne devez pas être seul, vous devez vous faire accompagner, et l’expertise est un outil qu’il faut utiliser.
En conclusion, nous remercions les différents représentants du personnel et experts qui ont participé à la rédaction de cet article en apportant leur éclairage sur cette question de la sous-utilisation des expertises dans la fonction publique, la seule façon selon nous de réaliser une expertise avec le cabinet agréé choisi dans la fonction publique est à la suite d’un événement très grave ou l’employeur ne sera pas en position de contester la demande.
Zoom![]() Encore une perte de pouvoir d’achat pour les fonctionnaires.En plus d’un jour de carence, maintenant les agents en arrêt pour raison de santé ne perçoivent plus l’intégralité de leur traitement, mais seulement 90 % pour le congé maladie ordinaire (CMO). Ainsi en ont décidé les parlementaires lors du vote de la loi de Finances pour 2025. La mesure s’applique aux CMO accordés ou prolongés depuis le 1er mars 2025. Sont concernés : la nouvelle bonification indiciaire (NBI), Indemnité de sujétion spéciale (ISS), le complément de traitement indiciaire, le dispositif "transfert primes/points" (réduction de l’abattement sur les primes dans les mêmes proportions que le traitement) et l’indemnité compensatrice de la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG). En vertu du fameux "principe de parité", dans la fonction publique d’État, le régime indemnitaire en CMO est maintenu dans les mêmes proportions que le traitement. Donc il sera impossible dans la fonction publique territoriale d’avoir une délibération plus favorable sur le maintien des primes. |