Situation de harcèlement, atteinte à la liberté syndicale, règlement intérieur illégal, refus d’enquête, d’expertise... Dans toutes ces situations il est possible d’avoir recours à certains référés auprès du tribunal administratif, afin qu’un juge des référés oblige l’employeur à mettre en place des mesures ou à se conformer à la réglementation.
Article extrait de Décodage n° 40 | Avril 2025
Quelle décision peut-on contester ?
Les agents de la fonction publique ne sont pas soumis au Code du travail (excepté tout ou partie de la Quatrième Partie), mais au Code général de la fonction publique, avec des dispositions spécifiques à chaque fonction publique.
Les décisions prises par l’employeur (Directeur général, Maire, Président) peuvent apparaître sous différentes formes : arrêté, mesure d’ordre intérieur, mail, règlement intérieur, etc.
Ce sont ces décisions qui vont être contestées devant le juge.
La non-signature d’un arrêté ne suspend pas la décision.
L’ouvrage de référence sur lequel s’appuyer est le Code de justice administrative (CJA).
Qu’est-ce qu’un référé ?
Les procédures en droit administratif peuvent être assez longues. Or, dans certaines situations, il est important d’avoir une réponse plus rapide, ce que permet la procédure de référé.
Un référé administratif est une procédure accélérée qui aboutit à une décision rapide mais provisoire. |
Quels sont les trois référés possibles et comment les utiliser ?
Le référé-liberté
Le dispositif du référé-liberté (article 521-2 du CJA) permet d’invoquer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, portée par une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privée chargée de la gestion d’un service public.
Pour utiliser ce référé, il faut donc qu’une décision grave viole une liberté fondamentale, et qu’il y ait un caractère urgent manifeste.
L’appel de l’ordonnance[1] du Tribunal Administratif (TA) est porté devant le Conseil d’État (CE) dans un délai de 15 jours. Pour déposer cette requête en appel, il est obligatoire de prendre un avocat.
Les libertés fondamentales invocables Depuis la création de la procédure d’urgence du référé-liberté en 2000, le Conseil d'État a reconnu de nombreuses libertés fondamentales. Une liste de celles ayant été reconnues par le juge des référés-libertés depuis 2001 est accessible sur leur site. Il a publié une liste de 39 libertés fondamentales. Deux d’entre elles peuvent notamment être utilisées par les représentants du personnel : la liberté syndicale (décision n° 291399, 28/03/2006 du CE) et le droit pour un fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral (décision n° 381061, 19/06/2014 du CE). |
Exemple :
Concernant la discrimination, un syndicat à la Réunion a attaqué son employeur via ce référé car il refusait de lui attribuer un local syndical. Le TA a dans un premier temps refusé car même s’il reconnaissait le caractère de l’illégalité, il n’y avait pas selon lui d’urgence manifeste. Le syndicat a donc saisi le CE, qui lui a donné raison (décision du Conseil d’État).
Concernant une situation de harcèlement (cf. décision du CE) on peut au préalable utiliser différents leviers tels que la saisie du dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissement sexistes, l’alerte de membres de la F3SCT, la sollicitation de l’Agent Chargé d’Inspection en Santé et Sécurité au Travail ou de l’inspecteur santé et sécurité au travail, une demande d’expertise pour risque grave, etc.
Si malgré cela l’employeur ne prend pas les mesures suffisantes pour garantir la santé d’un agent, il est possible d’utiliser le référé-liberté pour que le juge des référés l’oblige à prendre des mesures complémentaires. Cela en prouvant toujours au juge l’urgence de l’atteinte à la santé et l’insuffisance de mesures (en s’appuyant sur des écrits, des témoignages, etc.).
Le référé-suspension
Le référé-suspension (article L521-1 du CJA) permet de suspendre provisoirement l'exécution d'une décision administrative. Il est soumis à trois conditions cumulatives, si elles ne sont pas réunies le référé sera rejeté :
- il est obligatoire de déposer une requête sur le fond,
- il doit y avoir un caractère urgent manifeste,
- Il faut démontrer le doute sérieux sur la légalité de la décision contestée
L’appel de l’ordonnance se déroule de la même façon que le référé-liberté.
Exemple :
Lorsqu’un agent déclare un accident (de service ou de travail) ou une maladie professionnelle, l’employeur peut refuser (par arrêté) de reconnaitre sa responsabilité. On peut contester cet arrêté en trois temps :
Étape 1 : contester au niveau du conseil médical en formation plénière, ou de la CPAM pour les contractuels et demander une contre-expertise (à la charge de l’agent)
Étape 2 : en cas de nouveau refus de l’employeur, il faut faire un recours en annulation sur le fond
Étape 3 : en même temps, il est possible de déposer un référé-suspension (avec les 3 conditions cumulatives)
Attention : la perte de revenu ne justifie pas à elle seule le caractère d’urgence. Il faut prouver des difficultés financières importantes.
Le référé-conservatoire ou mesures utiles
Le référé-conservatoire (article L521-3 du CJA) permet de demander au juge des mesures urgentes pour préserver ses droits, avant même que l’administration ait pris une décision. Il est soumis à deux conditions :
- le caractère urgent manifeste,
- les mesures demandées doivent être utiles.
Par ailleurs, il ne faut pas que ces conditions puissent être utilisées dans le cadre d’un autre référé, ni faire obstacle à une décision administrative.
Lors d’un référé-conservatoire, il n’y a pas d’audience et l’appel de l’ordonnance se déroule comme pour les autres référés.
Exemples :
- saisie du juge suite à un signalement de danger grave et imminent (DGI) non suivi d’enquête ni d’aucune mesure par l’employeur.
Il faut déjà prouver l’inaction de l’employeur (pas de réunion de la F3SCT, pas d’enquête), puis saisir l’inspecteur du travail ou santé sécurité au travail.
S’il ne se passe toujours rien au bout d’une semaine, on peut saisir le juge et déposer un référé mesures utiles afin que le juge demande à l’employeur de procéder à une enquête sans délai et prendre toutes les mesures conservatoires nécessaires pour faire cesser le danger (en précisant les mesures nécessaires).
- Utiliser le référé mesures utiles dans toute situation où l’employeur refuserait de transmettre un document/dossier utile et/ou nécessaire, notamment pour introduire un recours, faire valoir une urgence, être éclairé dans le cadre d’une enquête, etc.
Dossiers et coûts de la procédure
Un agent, un secrétaire général d’un syndicat peuvent saisir le TA (attention, les statuts du syndicat doivent être à jour). Un avocat, s’il n’est pas obligatoire, peut être utile au vu de la complexité des dossiers qui répondent à des normes particulières (nommage des pièces, ordre précis, etc.).
Le dossier peut être présenté sous forme papier par courrier, ou plus simplement en ligne via la plateforme Télérecours citoyen qui permet un suivi immédiat.
Bien monter son dossier Le magistrat n’est pas un enquêteur, c’est au plaignant d’apporter les preuves. L’objectif est de prouver au juge, qui est dans son bureau et ne connaît ni le dossier, ni les lieux, ni les personnes, le bien-fondé du référé. |
Le coût de la procédure :
- La saisine du tribunal administratif est gratuite.
- On peut plaider soi-même ou simplement faire vérifier sa requête par un avocat, s’il accepte, pour limiter les coûts. Mais généralement il préfèrera s’occuper du dossier dans son intégralité. Il faut donc veiller à bien préparer tous les dossiers en amont.
- Il existe des assurances juridiques individuelles qui peuvent être bien utiles dans ce genre de procédure (par son assurance habitation ou son contrat bancaire)
- Suivant les revenus de l’agent, il lui sera possible de percevoir une aide juridictionnelle totale ou partielle.
- Il sera possible de demander le remboursement des frais de procédure de l’avocat, voire de procéder à une demande indemnitaire supplémentaire (autre procédure).
- Dans certaines situations l’agent peut demander la mise en place de la protection fonctionnelle à l’employeur.
Un tribunal administratif répond à des codes complexes, un langage particulier, et les procédures doivent être respectées dans un ordre précis afin de convaincre le juge des référés. Cet article apporte quelques notions juridiques et stratégiques pour comprendre l’utilité des référés.
Dans la fonction publique, les comités sociaux ne disposent pas de fond de fonctionnement. Bien qu’il ne soit pas obligatoire, l’avocat dans ce genre de procédure peut se révéler indispensable et engendrer un coût non négligeable.
Aussi, nous pouvons vous accompagner dans cette démarche en proposant une formation pour approfondir vos connaissances juridiques en droit administratif, et savoir l’utiliser à bon escient.
ZOOM
Le décret n° 2024-1038 du 6 novembre 2024 relatif aux dispositions réglementaires des livres Ier et II du Code Général de la Fonction Publique est entré en vigueur au 1er février 2025.
Si la partie législative du Code Général de la Fonction Publique est entrée en application le 1er mars 2022, le décret n° 2024-1038 crée les deux premiers livres de la partie réglementaire, en attendant la suite courant 2025 : droits, obligations et protections des fonctionnaires (Ier), exercice du droit syndical et dialogue social (II). Il faudra maintenant ce référé à ce décret, il y a une nouvelle organisation et numérotation des articles, une réécriture de certains, et enfin une modification des conditions et modalités d’organisation du vote électronique pour les trois versants de la FP.
ATTENTION : le nouveau décret n'est pas un copier-coller des 3 anciens décrets des Comités sociaux. Certains articles ont été réécrits, d'autres modifiés avec une fois encore des pertes de droits des représentants du personnel. Les premiers retours nous indiquent que les 3 fonctions publiques sont impactées.
[1] Faire appel consiste à contester une décision de justice rendue par une juridiction de premier degré, si la décision ne satisfait pas (ou pas totalement) l'une des parties. [Source]